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)î( UN CHANT ECARLATE )î(
2 juin 2021

PP-4

4

PREMIERE PARTIE

4

Il franchit, ce matin de rentrée, le portail du bâtiment de la Faculté des lettres et sciences humaines.

L’enceinte vibrait déjà de chahuts. Dés le seuil, son cœur bondit.

Devant lui, l’aurore étincelait. Une tête blonde s’agitait. Tout d’ un coup, le rêve enfoui dans son cœur et caressé avec tendresse se matérialisait. L’image avait franchi les limites brumeuses. Elle se mouvait.

Cette nuque laiteuse que Ousmane apercevait était bien celle de Mireille. Il l’avait trop embrassé en songe pour en oublier la forme gracile et ondoyante. Ce profil, il le reconnaitrait, même sans lumière, pour l’avoir mille fois redessiné, en trois mois de vacances.

Et la parure d’or diaphane frémissait ! La seconde vécue lui parut une éternité, par la densité de l’émotion, par la rencontre jugée impossible qui s’organisait.

« Du courage ! » A pas comptés. Mais chaque pas le rapprochait du but , lentement , mais irrévocablement. Il avançait. A pas comptés certes. Mais il progressait tout de même.

Sa main se tendait et se refermait, se tendait vers un objectif : une épaule claire, qui avait repoussé l’envahissement des cheveux de flamme. Et la paume d’Ousmane conquit tendrement cette parcelle de peau et s’y’ appuya.

On imagine des chocs spectaculaires pour le jaillissement du bonheur. On imagine des cadres coûteux pour son éclatement. Et le bonheur nait de rien, se nourrit de rien. On lui confère un prix énorme. Son acquisition parait réclamer un prix fort. Et pourtant, le bonheur peut s’épanouir tout simplement dans un amphithéâtre d’université. Une épaule nue le déclenche. Quelques pas la livrent. Un quart de tour de tête ! L’oblique d’un visage ! Et des fluides se rejoignent pour recréer l’unité. Le couple nait. Amission millénaire s’ébauche. Un homme, une femme ailleurs !

Une poignée de main ! Dans le trouble des yeux bleus incrédules, Ousmane découvre sa propre émotion.

L’étonnement de Mireille, son bouleversement perceptible, ses joues pourpres, lui donnèrent l’espoir qu’il n’avait pas été le seul à imaginer, à souhaiter. Mireille avait-elle subi les mêmes assauts que lui ? Elle n’ avait pas peut être voulu de la France …comme lui. S’était –elle accordé une chance de le revoir ? Ousmane Guéye lui parlait.

Et les yeux pers se fermèrent de bonheur. Et les joues rosissantes reçurent discrètement deux traits humides.

Et Ousmane Guéye, qui refusait les aventures sentimentales, acceptait. Et Ousmane Guéye, qui se méfiait des femmes, s’abandonna à une femme, blanche de surcroit . Le temps d’une poignée de mains, d’un battement de cils !

Des amoureux plus imaginatifs que Mireille et Ousmane inventèrent peut-être un jour un vocabulaire et des gestes neufs.

Comme tout leur paraissait merveilleux, éclairé par l’amour. Toutes les occasions joignaient leurs doigts. Des banalités déclenchaient leurs rires. Les heures couraient quand ils se retrouvaient et les moments de séparation s’étiraient, ennuyeux et cruels.

Leurs différences les enrichissaient. Ils éprouvaient, l’un pour l’autre, des inquiétudes nées de tout et de rien : de fièvres passagères, d’un bouton gratté, d’un rhume exténuant. Une note faible d’interrogation, un cours mal perçu dérangeaient leur quiétude. Ils tendaient au bonheur parfait.

Se contempler, se découvrir ! Les parties visibles de leurs corps n’avaient plus de secrets pour eux. Ousmane palpait la cicatrice bosselée de l’avant-bras de Mireille qui expliquait :

-       Un abcès qui fut douloureux, il ya deux ans !

Mireille admirait la carrure de son ami, Ousmane s’enorgueillissait :

-       Les épaules paternelles

Ils s’embrassaient.

Le baiser demeure l’expression naturelle du sentiment. Il draine sans danger l’excès des désirs. Arrivés tôt le matin et les après-midi, Ousmane et Mireille profitaient de leur solitude momentanée pour se blottir l’un contre l’autre. Leurs lèvres se cherchaient, s’unissaient, se détachaient. Ce jeu les enivrait et ne cessait qu’à la venue de leurs camarades. Ils étaient heureux. Ousmane écoutait son cours sans comprendre, les yeux rivés sur la nuque dorée par les reflets de la chevelure et Mireille, courageusement, prenait des notes pour deux.

Parfois, ils désertaient les cours. La chaussée traversée, à l’autre limite de l’université, livrait la mer.

Ousmane Guéye fredonnait, en la contemplant, le début d’une dictée de l’école primaire3 :

« La mer fouette la côte de sa vague monotone et courte. » Mireille complétait : « et Ousmane et Mireille s’adorent. Et Ousmane et Mireille s’embrassent» Elle joignait le geste à la parole. Ils riaient, ivres de jeunesse, d’illusions, d’espaces.

A défaut de baignades, ils trempaient dans l’eau leurs pieds, délivrés depuis longtemps de la contrainte des chaussures.

Parfois, ils se reposaient sur une natte. Et c’ est dans cette attitude que les confidences se libéraient.

Résumés de livres lus, les mises au point sur les cours, formulation d’exposés pour avoir le maximum de points, tout alimentait leurs causeries. Ousmane Guéye excellait pour rendre accessible une communication.

Mireille, en revanche, avait le monopole de se raconter. Elle offrait à son amour son passé et son présent. Les albums de famille défilaient entre les mains d’Ousmane. Les photographies étaient commentées.

-       Je suis fille unique et tu devines qui est mon père car la voiture qui me dépose a dû t’éclairer depuis longtemps.

-       Oui, répondait Ousmane pensif. Je suis un amoureux fou de la fille d’ un diplomate français.

Mireille poursuivait :

-       Regarde-moi ici, avec mes cheveux tirés en arrière. C’est la coiffure « queue-de-cheval».

Plus loin :

-       J’ai quatre ans ici. Le livre que je tiens, Je venais d’en achever la lecture. J’ai su lire à quatre ans, et toi ?

Elle n’attendait pas de réponse et continuait :

-       Regarde-moi en tenue de ballerine. J’ai appris à danser. Ici, je joue du piano. Mes parents n’ont rien ménagé pour faire de moi une jeune fille accomplie.

Et pointant son index sur une photo jaunie :

-       Voici mes grands-parents paternels. Ils vivent toujours. Plus haut la maison familiale.

Ousmane remarqua :

-       Une rivière coule aux alentours de la maison familiale.

-       Non, corrigeai Mireille. Ce n’est pas une rivière. C’est un étang, tellement beau, l’été !

Fille unique, Mireille aurait pu être mal éduquée. Mais elle raisonnait et la lucidité lui interdisait l’insolence. Elle qualifiait de « perversion» le manque d’éducation.

-       Il n’ ya pas de pire poison, affirmait-elle. Elle puisait la force de se comporter poliment dans sa conviction de l’égalité des hommes. La connaissance parfaite du savoir-vivre qu’on lui avait inculqué, aidait son attitude.

Elle concluait :

-       Contrairement à la tradition, c’est moi qui borde mes parents au lit depuis que j’ai l’âge de le faire, après les avoir embrassés.

Ousmane écoutait. Son amour-propre repoussait le quartier populaire d’Usine Niari Talli. Sa pensée élevait un rempart entre Mireille si raffinée et la baraque ocre. Il dit tout haut :

-       Le jour où je te parlerai des miens , le jour où je te ferai entrer dans le jardin secret de mes origines , je te demanderai d’ être ma femme.

Mireille acquiesçait, respectueuse de la pudeur d’autrui. Le silence d’Ousmane ajoutait du mystère à son amour.

Ousmane réfléchissait.

-       M’aimes-tu ? Ne suis-je pour toi que le jouet original qui manque à ta collection dans ton univers comblé ?

La crinière blonde voltigeait en guise de réponse. Elle croyait à l’amour sans patrie. Elle cherchait chez un partenaire l’intelligence et le charme : dans leur classe, Ousmane se situait parmi les meilleurs ; et il était beau, comme une statue.

-       Tes traits ont une finesse étonnante. On les dirait ciselés.

Mireille aimait. . Elle ne mentait pas. Le conformisme de ses parents, placés au plus haut sommet de la bourgeoisie de son pays, ne pouvait rien contre l’insondable loi de l’attraction qui la poussait vers Ousmane. La « Corbeille d’or » trouvée à sa naissance ne la révoltait pas. Elle n’avait aucun traumatisme psychique à résorber, aucun manque à combler, aucune haine à assouvir, aucune tare à compenser, aucune révolte à endiguer, aucun joug à briser. Elle était saine et normale. Elle aimait naturellement, comme une jeune fille de son âge.

-       Je ne peux expliquer mon sentiment .Pourquoi toi ? disait-elle souvent en riant.

Et c’est parcequ’ elle aimait, que le désir de porter secours avait surgi en elle, spontanément, comme un désir de protection maternelle, enfoui dans chaque amante, Lorsqu’elle avait vu Ousmane en difficulté à l’examen.

Le souvenir d’Ousmane avait meublé ses vacances. Comment le retrouver ? Elle avait tenté sa chance comme le prisonnier d’un incendie se jette d’une fenêtre.

Son inscription à l’université n’était pas un hasard. Elle avait lutté pour faire admettre son point de vue. Ses parents possédaient un luxueux appartement dans la capitale de son pays, occupé par une vieille tante célibataire que sa présence comblerait bien.

-       Qui résiste à la plaidoirie de l’amour ? interrogea malicieusement Mireille.

Elle se promettait de laborieuses recherches. Et la voilà, sans peine, devant Ousmane, traçant de son doigt l’ovale du visage, tâtant les joues, redécouvrant la poitrine entrevue il ya des mois.

Face à un engagement pareil , Ousmane pourrait un jour décrire la salle d’ eau en zinc troué, parler des jambes inégales de Djibril, introduire le sourire charmant de Yaye Khady, malgré les cours fleuries, les meubles cossus, les cuisines équipées, la profusion de jouets et de vêtements , la charge dorée des bibliothèques, admirés à travers les photographies des albums explorés .

La dernière photographie de l’un des albums-celle-là, récente-révélée à Ousmane, représentait Mireille en longue robe bleue, agrémentée d’une rose blanche à l’épaule gauche, dans le vaste salon de la résidence diplomatique.

Leurs enfances ne se ressemblaient pas. Le balai court avait écaillé la main du jeune Ousmane. Le dégoulinement de l’eau dansant dans son petit seau avait trempé son dos.

Etait-il un partenaire possible pour Mireille ? Pourrait-il assumer pareille mutation ?

Il était pauvre certes. Mais la pauvreté n’est pas une infirmité. Elle ne peut être non plus un critère de considération.

La supériorité d’un individu ? La grandeur de l’homme ? Assurément dans son intelligence, dans son cœur, dans ses vertus !

Ousmane se sentait homme et comme tel, digne de tous les témoignages d’amour.

Mireille minait facilement le souvenir d’Ouleymatou. Elle désintoxiquait le cœur d’Ousmane et lui redonnait confiance. Elle expulsait toutes les résolutions défensives. Elle s’installait victorieusement dans un cœur et dans un corps disponibles.

Et le temps fuyait sous la houlette des mois. Dans les rêves, l’amour décuplait les forces combatives d’Ousmane Guéye qui soulevait des montagnes, démolissait maints obstacles pour conserver sa belle. Coquette, Mireille virevoltait en jupe ou se dandinait dans des jeans qui moulaient ses formes. Ses cheveux blonds épars resplendissaient, jouet docile dans la main tendre de son ami.

Leurs photographies échangées calmaient l’impatience des séparations. Dans un cadre en fer forgé, garni de verre, Mireille trônait sur la petite table de travail de la chambrette.

Une bonne malhabile de Yaye Khady fit tomber un jour le cadre, en rangeant les livres. Le verre protecteur se brisa. En voyant les débris, Ousmane entra dans une colère épouvantable que personne ne s’expliquait. Il s’agenouilla, délivra l’image des morceaux de verre, caressa avec émotion le corps entier dans le cadre nu. Son expression de ferveur bouleversait ses traits et cette attitude de vénération surprit Yaye Khady.

Sa main caressa de nouveau la photographie et il se surprit à penser tout haut :

-       Heureusement qu’elle n’a eu aucune égratignure !

Yaye Khady , de plus en plus étonnée ,rétorqua :

-       Et si elle en avait eu une ? Si tu te voyais, tremblant pour la photo d’une actrice de cinéma que tu ne connais même pas ! Etre à ce point à la merci d’un mythe !

Pour dissiper le trouble de sa mère, Ousmane plaisanta :

-       Oui, jusqu’ à ce point ! Tu trembles davantage pour le lutteur Doudou Ndoye. Tu chantes à longueur de journée ses exploits. Est-ce que mon père s’en offusque ?

Ils rirent et l’incident fut oublié. La photographie reprit sa place dans le même cadre garni d’un nouveau verre.

Quand à la photographie d’Ousmane, elle n’avait pas de place fixe dans la chambre de Mireille, encore moins de cadre protecteur. Elle allait de son oreiller à la poche de sa robe de chambre. Elle voyageait entre les classeurs et les livres selon ses occupations du moment. Mais elle était témoin de tous les actes de sa vie quotidienne.

Se douchait-elle ? Elle la plaçait dans un coin de la salle de bains et lui dédiait des sourires.

Se couchait-elle ? Elle la berçait sous sa couverture et l’embrassait. Montait –elle en voiture pour rejoindre l’université ? Elle l’installait à côté d’elle et la soutenait d’une main pour l’aider à résister aux secousses de la route.

Cette photographie, elle l’avait choisie parmi une douzaine d’autres qu’elle avait tirées. « Réussie ! » « Vivante !»La mer très bleue entourer le rocher noir sur lequel son ami était debout. Sa chemise rouge ouverte libérait sa poitrine, ornée d’une fine chaîne, cadeau de Mireille. Ousmane riait de toutes ses belles dents. Ses yeux avaient une expression d’intelligence malicieuse.

Et la nuit, la photographie lui parlait des douceurs vécues. Leur parcours récent avait déjà un lot de souvenirs : ses bouderies et ses réconciliations hâtives, sa recherche passionnée de l’autre, ses embuscades, ses méandres.

Mais un jour , la petite photographie s’égara. Plus de mer bleue, plus de rocher noir, plus de chemise rouge, plus de sourire blanc, plus d’yeux lumineux. Et Mireille chercha en vain son bien précieux. Son armoire fouillée, ses tiroirs vidés, le la livrèrent point. Les classeurs, les cahiers, les livres et les blocs-notes ne la lâchèrent pas. Le dessous du lit balayé et le matelas retourné sans résultat, son inquiétude empirait. Sa mère souhaitait bien l’aider .Mais fallait-il qu’elle sût ce qui valait tant d’effervescence et de soucis à son enfant.

Mireille s’inquiétait : « Et si mon père retrouve la photo ? »Elle appréhendait le dialogue.

A cette perspective, ses joues s’empourpraient.

Ousmane conseilla :

-       Désormais, contente-toi de mon image « là-dedans », et il appuya son poing sur le front de la belle  jeune fille.

*

* *

 

Depuis des années que son père œuvrait en terre sénégalaise, le calme des habitudes immuables régnait dans la résidence diplomatique.

Réveil matinal pour Mireille. Elle servait le petit déjeuner de ses parents au lit. C’était l’une des tâches qu’elle s’était assignées des qu’elle avait su manier les boutons des fourneaux à gaz.

Plateau de café, confiture et croissants pour son père, thé pour sa mère, sans beurre ni pain. Mme de la Vallée disciplinait son estomac et supportait un régime sévère. Elle luttait ainsi contre l’embonpoint, la fonction de son mari exigeant d’elle beauté et maintien.

Mireille embrassait ses parents, réglait sa montre à leur réveil, réglait sa montre à leur réveil.

Elle s’asseyait sur l’un des lits jumeaux. Et le bavardage malaxait problèmes sérieux et futiles, confidences et actualités, nouvelles du pays et tâches à abattre, invitations à donner ou à rendre, programme de la journée.

Mireille abandonnait ensuite ses parents à leurs plateaux. Elle courrait à son bain pour ne pas rater la leçon d’éducation physique de la radio. Elle avait maintenant une raison supplémentaire-un amoureux dans sa vie- pour maintenir sa souplesse et sa grâce.

Le choix du vêtement avait de l’importance. « Comment se présenter Aujourd’ hui à Ousmane ?»Les instincts de séduction sourdaient en elle. Elle désirait une apparition différente chaque jour. Son argent de poche passait dans l’achat de produits de beauté dont elle usait discrètement, pour augmenter l’éclat de sa chevelure ou appuyer le pourpre de ses joues et ses lèvres. L’eau de Cologne la parfumait subtilement.

 

Hier, l’ensemble pantalon et chemisier blancs, foulard turquoise, avait fait sensation. Avant-hier, une robe verte « maxi» très souple et des chaussures assorties s’étaient alliées à la couleur de ses yeux.

Aujourd’ hui ? Elle fit glisser les cintres de sa penderie. Tout lui paraissait inapproprié, incapable de séduire OUSMANE. Son choix se porta tout de même sur une robe en cotonnade rouge imprimée de petites feuilles, cadeau récent de la grand-mère La Vallée.

« Ousmane portera-t-il sa chemise rouge, celle de la petite photographie ? Nos vêtements s’harmoniseraient... »

Le souvenir de la petite photographie réveillait son angoisse d’ autant plus qu’ elle entendait son père commencer sa journée par un plongeon énergique et tapageur dans son bain.

Sa mère se manifestait aux domestiques et précisait ses directives pour la journée.

Mireille dévala les escaliers, fraiche et parfumée. Un claquement de portière ! Le chauffeur prit en trombe le chemin de l’université, ralentissant devant l’hôpital Le Dantec assailli par les malades venus aux soins, qui débordaient sur la chaussée.

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  • Ce roman retrace une grande histoire d' amour entre un jeune sénégalais et une jeune française . Confrontée aux difficultés ,saura-t-elle résister aux nombreuses pressions de la société sénégalaise?
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