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)î( UN CHANT ECARLATE )î(
29 juillet 2021

TP-10

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TROISIEME PARTIE

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Ousmane Guéye revint de son travail. Comme à l’accoutumée, à cette heure, il fit  dans la salle de bains une toilette sommaire et ressortit, essuyant son visage avec le pantalon de son pyjama qu’il abandonna dans un fauteuil. Comme à l’accoutumée, il répéta :

-       Tu peux déjeuner .Je mangerai ensuite .J’ en ai pour une minute .Je reviens.

Il se déroba vite et franchit la porte.

«  Quelques minutes ? » Mireille était sûre de ne le revoir  que le soir , pour quelques heures , avant un nouveau départ plus ou moins justifié , lui aussi.

Mireille ne releva même pas les yeux de son journal. Son cœur  bondissait «  Sa solution » répugnait à sa conscience. Mais bafouée, elle se situait dans une zone où tout est permis. Elle imaginait le taxi roulant derrière la 504. Elle allait savoir. Cinq minutes ! Un quart d’heure ! Vingt minutes ! Une demi-heure ! Une main pressait enfin la sonnerie de l’entrée. Elle ouvrit .Le visage du taximan contacté le matin s’encadra dans l’ouverture :

-       Je connais l’endroit où est descendu Monsieur.

-       Bien, dit Mireille. A ce soir, comme convenu. Nous le suivrons ensemble.

Et elle paya grassement ce premier service rendu.

Dans la nuit, le conducteur de taxi suivait la 504 noire  déchaînée, clignotant dans l’ombre, qui emportait Ousmane vers ses amours.

Le taxi stationna à l’arrivée, à une distance appréciable de la 504. Ousmane souriait.

Depuis combien de mois ne l’avait-elle vu sourire ?

Il pénétra dans une maison fleurie. Des heures passèrent, une éternité pour Mireille que la jalousie mordait.

Ousmane ressortit, tenant un petit homme au crâne totalement rasé, copie vigoureuse de Gorgui. Ouleymatou suivait, très maquillée. Elle poussait un ventre bombé. Elle s’installa à côté d’Ousmane qui avait assis le petit sur le siège arrière de la voiture aux portières soigneusement  refermées.

Le moteur ronfla. A Gibraltar, le couple et leur enfant descendirent, sous les regards horrifiés de Mireille. Mais elle n’était pas n’ importe qui. Issue d’une famille où l’éducation passait par la maîtrise de soi, elle ne pouvait se donner en spectacle.

Le couple réapparut, en bonne compagnie. Yaye Khady portait l’enfant noir, calé à sa hanche. Sa main libre chatouillait le petit qui riait, riait, comme Gorgui quand il était, lui aussi à cette même place et bénéficiait des mêmes caresses.

«  La trahison s’est donc ramifiée ! » Mireille qualifia de « pourriture » ce monde, installé dans le mensonge.

Combien de fois usa-t-elle des services largement rémunérés du conducteur de taxi ? …

Et les scènes se succédaient, édifiantes.la fille changeait fréquemment de toilette, le petit homme au crâne nu était de toutes les sorties.

Une nuit, la main d’Ousmane, dans la rue, avait malaxé impudiquement les fesses de la « fille ». Au lieu de se révolter, la Négresse en riant avait fait saillir sa croupe.

Les alentours de la maison puaient l’encens et répercutaient les chants joyeux des dialis. Les petits pagnes blancs, jupons des Négresses, voltigeaient sur les fils de fer et, témoignant du grand soin que la « fille » apportait à son intimité, semblaient narguer Mireille.

Dans le quartier, la mère d’Ouleymatou traînait une oisiveté de commère.

Tout prouvait à sa curiosité le détachement de son époux. Une force puissante tirait Ousmane et le livrait à son milieu. Alors elle s’étonna. Elle s’étonna de ses élans d’adaptation et d’oubli de soi. Ses chants d’autrefois ? Elle ne les entendait qu’en sourdine. Son cœur et son corps ne contenaient plus qu’Ousmane.

Et Ousmane n’avait rien voulu sacrifier. Mieux, il se débarrassait d’elle , chaque jour un peu plus .

Elle se souvint de la colère de son père :

-       Tu connais « ça » ?

Elle acquiesça :

-       Ousmane était bien « ça ».

*

* *

A ses dépens, Mireille découvrait les fluctuations du désir chez l’homme : «  Seule la femme qui momentanément habite le cœur et les sens de l’homme a de l’importance pour lui, accaparant son intérêt et ses élans de conquérant. Son désir comblé, il peut s’apercevoir que l’unique ne vaut pas ses devancières…

«  Et si Ousmane ne lassait pas !...Et si c’est l’attachement absurde, inexplicable  qui rend muets ceux qui comparent la femme délaissée à la nouvelle favorite ! … Rien de rationnel n’est offert à mon investigation si ce n’est l’insondable loi de l’attraction. Cette Négresse fardée n’a rien d’extraordinaire !... »

Et Mireille se tourmentait :

« L’amour change de contenu avec les individus… Les aventures amoureuses ne se ressemblent pas… Les solutions apportées à certaines n’éclairent pas les autres…

Le moment où meurt un sentiment est aussi insaisissable que le moment où il naît…Ce qui tue une émotion peut n’avoir aucune justification comme ce qui la suscite …Il est  difficile d’arrêter un cœur qui dégringole dans l’abîme de l’indifférence… »

Mireille découvrait à ses dépens la flambée rapide du désir de l’homme. Elle s’exténuait à fourbir des armes de séduction et de reconquête .Elle s’exténuait à lisser sa chevelure, à empourprer ses joues, à redresser cils et sourcils. Elle se noyait dans les vaporisations de parfums coûteux : les petits paquets d’encens qu’Ouleymatou emportait du marché pour le dérisoire prix de vingt-cinq francs anéantissaient tous ses efforts.

Quelques jugements accordaient des qualités à l’épouse tubaab : «  belle femme, femme intelligente, gentille femme, femme amoureuse de son mari ».Mais ces qualités ne pesaient guère sur la conscience d’Ousmane.

Et Mireille souffrait. Elle apprivoisait sa douleur le long des jours et des nuits. Elle se traînait de son lit à la salle de bains, de la salle de bains à ses cours, de ses cours à sa cuisine. Le petit seul arrachait ses sourires, point d’appui douillet. Tressaillements de ses nerfs sous sa peau, fourmillements agaçants aux pieds, elle se cramponnait à sa volonté de fer pour ne pas dériver.

L’image du couple, traqué par le taxi, la poursuivait. Elle rognait ses provisions de courage et de résistance. Imaginative, elle se laissait hanter par des ébats amoureux qui l’excluaient. Ce qu’elle entrevoyait de la fête des sens qui se déroulait à son détriment la mortifiait. D’ autant plus que personne, devant elle, ne se gênait pour rappeler l’ardeur amoureuse de la Négresse. Celle qu’elle avait espionnée « puait » l’expérience.

Toutes les nuits, toutes les secondes, au lycée comme au marché, à tout moment et en tous lieux, la Négresse fardée ricanait à ses oreilles. Elle ne pouvait ouvrir les yeux sans voir Ousmane tapoter les fesses à dessein rebondies.

Mireille apprivoisait son mal. Elle en connaissait l’étendue .Elle en mesurait la virulence. Avant d’avoir « su », avant d’avoir  « vu », la trahison d’Ousmane lui semblait passagère .Mais à présent…

Elle souhaitait fuir la sécheresse de sa vie conjugale et retrouver ses parents .L’ enfant prodigue aurait été pardonnée.

Mais…Mais elle avait un fils qu’elle aimait. Elle recherchait sur lui la finesse des traits paternels dont l’existence chez le fils de l’autre torturait son souvenir. Et sa pensée allait, tantôt optimiste tantôt amère.

«  Mon père accepterait-il dans son milieu guindé un petit Négre ? Mon père pourrait-il oublier l’affront infligé à sa dignité ?

«  Il a bien courbé la tête », avait rapporté Yvette dans une missive.

A Mireille, sans l’enfant, on aurait pu rouvrir les bras. Mais l’enfant noir existait, témoin gênant .Il était là, son insatiable curiosité à la recherche de boutons à dévisser, de couvercles à démonter. Il était là avec son teint d’argile brûlé, innocence et étonnement .Il refusait de porter en trépignant le tricot assortir à sa culotte jaune. Il fixait Mireille de ses yeux malicieux.

«  Pauvre petite chose ! » Et Mireille le souleva avant de l’asseoir sur ses genoux pour l’habiller. Les petites menottes s’emparèrent de la longue chevelure qui les enveloppa.

«  Eh oui, il faut rester, rester pour lui. »

Le choix était poignant car Mireille le trouvait avilissant.

«  Ne pas priver l’enfant de son père est un argument fragile car lorsque l’on se marie, l’enfant n’existe pas. L’enfant doit raffermir les liens du couple .Il doit être une soudure. Seul, il n’emplit pas le cœur d’une épouse .Seul, il ne comble pas un homme .Trait d’union ? Oui ! Elle admit : «  Les enfants vivent plus malheureux dans un couple désuni que s’ils étaient privés de la présence d’un de leurs parents dans un environnement serein ! »

Mireille était troublée :

«  L’ argument ‘’enfant’’ n’est pas solide .mais les femmes piétinées le brandissent et camouflent leur volonté défaillante dans ce cri de mère éplorée. C’est par lâcheté, par peur de s’assumer que les mères déçues demeurent au foyer. L’habitude de ne plus penser, de ne plus décider, de ne plus voir et de se laisser vivre les fait prisonnières. La déchéance les guette. La souffrance les grignote. Elles ignorent l’usage de la liberté. »

Elle décida de « survivre ».

Aussi les décombres de sa vie conjugale n’ensevelirent –ils point son immense orgueil qui, galvanisé, redynamisait sa résistance. Ployée, elle se redressait avec fierté pour refuser d’être la pâture méprisée de son milieu d’origine. Car fiel pouvait devenir ce milieu dans les salons de thé avides de scandales où les convives rythmaient ironiquement de médisances le tintement des cuillères au fond des tasses !

Elle entendait :

«  Tu connais la der des der ? Mireille revenue de son escapade ! Chassée par non Négre. »

«  L’oiseau rebelle  déplumé réexpédié, un oisillon noir dans les bras ! » Elle entendait surtout la rage vengeresse de son père…

Son père réajustant plus que de coutume ses bretelles…ragaillardi et réjoui de sa victoire, narguant impitoyablement la douleur muette incarnée par son épouse !

«  Ah ! Ah ! Ta fille ! Répudié ! Comme un vulgaire objet.

«  Ah ! Ah ! On dit son fils drôlement cuit !

Le Négre a préféré une Négresse. Ah ! Ah ! »

Au pays de l’égoïsme organisé, de veules commérages et un énorme éclat de rire sur sa fuite ratée ! Aucun baume de tolérance ou de compassion sur ses plaies !...Alors, à l’indifférence du cœur qui gèle, aux rhumatismes de l’âme qui paralysent, elle préféra le désarroi. Ici, l’ébranlement quotidien de ses valeurs, dans l’humiliation des renoncements avilissants, certes ! Ici encore, l’indignité des patiences forgées et des sérénités feintes ! Mais elle vivrait, mais elle se battrait, soutenue par un idéal qui ne s’agenouillait pas. Son amour et son orgueil conjugués rassemblaient les miettes d’un bonheur défunt pour les ériger en facteurs d’espérance. A la quête lucide de sa raison, à l’invitation  au départ de sa conscience, ils refusaient de céder la plus minime part des domaines envahis.

Pathétiquement, Mireille choisit de rester. Elle ne trouvait aucune grandeur .Son option n’était pas non plus fuite ou lâcheté, mais la seule possible quand on aime… quand on a dans les bras un enfant Négre…quand derrière soi, on a tout brûlé.

«  Et puis l’infidélité n’est point l’exclusivité des Noirs ! »

 

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  • Ce roman retrace une grande histoire d' amour entre un jeune sénégalais et une jeune française . Confrontée aux difficultés ,saura-t-elle résister aux nombreuses pressions de la société sénégalaise?
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