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)î( UN CHANT ECARLATE )î(
7 juin 2021

PP-5

5

PREMIERE PARTIE

5

Le calme plat des habitudes acquises fut bouleversé ce soir-là dans la résidence diplomatique.

Mireille revint de son cours à dix-huit heures, après avoir passé des moments agréables avec son ami.

Elle montait en chantonnant les escaliers.

-       Mireille

La voix durcie de son père rugissait de la salle de séjour plongée dans l’obscurité avec ses rideaux tirés ; elle se retourna.

Ses yeux aperçurent sa mère dans une attitude rigide qu’elle ne lui connaissait pas. D’un grand cendrier, placé entre ses parents débordaient des mégots de cigarettes éteintes  à peine entamées.

La photographie ! Son secret percé ! Ousmane livré dans sa chemise rouge à la colère de ses parents ! Sa poitrine nue à la merci de leur mépris ! Elle fit front et avança lentement. Elle atteignit son père, se baissa pour le baiser rituel et se heurta à un menton cogneur. Elle n’osa pas embrasser sa mère dont l’attitude crispée interdisait toute approche.

Jean de la Vallée retira d’une enveloppe la photographie. Mireille souffrit d’ en voir le papier froissé et jauni. Maltraitée, la photographie portée des rainures comme des marques de griffes. « Avec moi la photographie avait eu droit à des égards et à des soins !»

-       Connais-tu bien « ça » ? attaqua son père et il enchaina, méprisant : Tu connais bien « ça » car « ça » t’est dédié : « A Mireille que j’aime-Ousmane.» Il exhibait la photographie tenue entre deux doigts, dédaigneusement, comme si elle était porteuse de germes microbiens.

Sa mère, tête baissée, assistait à l’affrontement. La blancheur du chemisier qu’elle portait accentuait la teinte livide de son cou et de son visage. Ses mains posées à plat sur ses genoux tremblaient nerveusement.

« Cà » était important dans sa vie. « Cà » était son bonheur. Ousmane se mouvait à travers « Cà ». Leur communion, à nouveau traversait en elle une douce chaleur. Le sortilège de l’amour, à nouveau opérait, né du visage aux traits fins, de la mer bleue, du rocher gris, des soleils du regard.

Ousmane s’animait. Ousmane l’étreignait. Une scène émergea violement plus significative parmi tant d’autres qu’elle ressuscitait. Ils avaient l’habitude de se retrouver en compagnie ou seuls selon les jours dans la chambre de la cité universitaire d’un ami d’Ousmane, Ali.

Dans cette chambre baptisée pompeusement « Ker Ali», les loisirs étaient meublés par des discussions et l’audition de disques. « Ker Ali» offrait aux amoureux une inviolable sécurité. Mais la rareté des moments vécus sans témoin, les précautions prises pour ne point casser le fil mince de leur bonheur, teintaient leurs retrouvailles de tristesse.

Un soir pour « semer » des camarades têtus, Ousmane avait dû ruser et feindre de s’en aller. Puis débarrassé de l’escorte indiscrète, il était revenu sur ses pas.

Il trouva son amie, seule, étendue sur l’unique lit, sa tête reposée sur la profusion de ses cheveux libérés, ses jambes dénudées dans leurs lignes harmonieuses, ses beaux yeux alanguis par l’incertitude de l’attente.

Ousmane caressa de sa paume le front, le longs fils d’or de la chevelure. Ses doigts jouèrent sur le corps tiède. Sa bouche fiévreusement chercha, pour se calmer, des replis de chair fraîche.

La pénombre accumulée par l’heure tardive obscurcissait leurs corps. Ils s’étreignirent avec plus de passion que de coutume. Et Ousmane serra Mireille. Il serra puissamment le corps jeune et souple qui s’abandonna docilement.

Une douleur violente naquit des entrailles blessées de la jeune fille. La plainte rauque persistante sur les lèvres entrouvertes dégrisa Ousmane. Mais une volupté annihilante de part et d’autre avait succédés au cri. Des larmes envahissaient les joues de Mireille. Ousmane transpirait.

A genoux, il implorait son pardon. Mais son corps vainqueur vibrait de joie. Ses yeux lumineux contrastaient avec ses mots de regrets. Leurs visages rapprochés mêlèrent des larmes de bonheur  et de réconciliation.

Devant ses parents qui exigeaient d’elle repentir et reniement, Mireille se souvenait. Elle avait donné son cœur puis son corps.

L’irrévocable s’était accompli.

Des larmes ! Mais pas de regrets ! Des larmes encore, mais elle pleurait d’aimer, d’être comme le lierre de son pays, inextricable dans son attachement. Son âme s’était rivée à travers sa chair offerte.

Elle balbutia :

-       Je le connais. C’est un garçon intelligent. Faites sa connaissance avant de juger.

Elle allait continuer – pour des heures ? Des mois ?-  sa litanie, plaidoirie inutile, car ses juges avaient une intime conviction inébranlable.

Une gifle retentissante ! Les mots furent ravalés. Elle hurla son désespoir et courut s’engouffrer dans sa chambre, après avoir entrevu sa mère s’affaisser sur le tapis.

La violence de son père ne la surprenait pas. Elle était à la mesure de sa folie. Une folie souveraine en elle. Une folie grisante. Elle ne la renierait pas. Mieux, elle avait des raisons infinies de la chanter. Elle voulait son bonheur avec Ousmane. Elle jura de lutter.

*

* *

Le lendemain de cette scène violente, même réveil matinal pour Mireille, malgré ses yeux rougis, sa gorge sèche, la fièvre de ses tempes, sa bouche amère blessée par la gifle, sa tête bourdonnante de solutions récusées, aussi insensées les unes que les autres. Elle prépara les deux plateaux habituels et se heurta à une porte close.

Elle se baigna rapidement, s’habilla en négligeant de choisir son vêtement, cacha a fatigue de son regard derrière des verres fumés. Du sparadrap habilement collait masquait sa blessure.

Au moment de descendre les marches de l’escalier pour retrouver le chauffeur, comme à l’accoutumée, son père reconnaissant ses pas, ouvrit brusquement la porte de sa chambre et lui barra le passage :

-       Plus d’université, j’ai compris : c’est pour le Négre que tu as choisi de rester .Je ne veux pas de scandale. Tu ne mesures pas la gravité de ta conduite, face à la situation que j’occupe.

Mireille recula, horrifiée. Le langage de son père la redoutait. Etait-ce là le même homme qui fraternisait avec les peuples dans son discours ?

Dans sa pensée, la voix de son père renforçait d’autres voix, entendues au cours de réceptions ou de réunions, celles de ses compatriotes habiles à dénigrer, ridiculiser et stigmatiser .Les chefs d’Etats africains demeuraient leur cible favorite. On s’ingéniait à déceler les failles et les insuffisances dans leur comportement, avec un langage lourd de sous entendus.

Son père demeurait silencieusement indifférent, lors de ces effeuillages destructeurs. Pour cela, elle avait cru son rêve possible.

Et voilà, ses yeux brusquement dessillés. Son père, si mesuré de ton et d’attitude, se crispait pour dominer une violence nourrie par une répulsion profonde du Négre, longtemps maitrisée, qui l’envahissait, aujourd’hui sans retenue .Mireille recula.

Son père affichait du mépris. Qu’avait son père de plus que le père de son ami ? Ousmane lui avait dit un jour, malgré sa réserve rigoureuse quand il s’agissait de ses parents : «Mon père est invalide de guerre. A ce titre, il a une pension  »

Révoltée par l’ingratitude et sincère dans son jugement, elle fit face. Sa conviction profonde de l’égalité des hommes la soutenait. Comme des dards, ses mots se succédaient :

-       Le père de « çà» a guerroyé pour notre pays. Au péril de sa vie. C’est un invalide, victime d’une cause qui n’était pas sienne. Le père d’Ousmane a protégé notre histoire et défendu notre sécurité. Qu’as-tu fait pour lui en échange ? Ta présence ici ? Mais elle n’est pas pure générosité. Soldat de ta patrie sans uniforme ni arme, tu es le regard du « maître » sur les affaires d’autrui. Colonisateur hier vêtu d’humanisme trompeur, tu demeures aujourd’hui le même homme intéressé, présent uniquement pour exploiter encore. Je suis de l’autre bord, par choix, par choix irréversible, entends-tu ?

Déchaînée, Mireille continua :

-       Je sens Ousmane. J’ai écouté battre son cœur. Ses qualités ont en moi balayé toutes les vieilles croyances enfoncées à coups d’anecdotes intolérantes. A moi, le Négre sauvage, au sourire « banania». A moi, le Négre aux yeux ronds dans un visage de cire ! Tu te crois supérieur parce  que tu es blanc. Mais gratte ta peau. Tu verras le même sang rouge  gicler, signe de ta ressemblance avec tous les hommes de la terre. Ton cœur n’est pas à droite. Il est bien à gauche, papa comme le cœur de tout humain. Tu as un cerveau, un foie assigné aux mêmes fonctions que le cerveau et le foie d’Ousmane. Dis-moi, ou se trouve ta supériorité ? Pourquoi as-tu cédé à mon désir d’étudier ici ? Pour moi certes, mais aussi pour ton image de marque. Ce la fait bien la fille d’un diplomate étudiante à l’université du pays où résident ses parents. Cela fait «  idées généreuses », « options avancées», tant de termes criés avec force, qui ne recouvrent aucune grandeur. Tu as ébranlé ma confiance et déçu  mon affection. J’aime, tu entends. J’aime un Négre, noir comme de la houille. Noir ! Noir ! Je l’aime et je ne renonce pas à cet homme simplement parcequ’ il est noir.

-       L’assaut était amour, violence, et sincérité et dressait une jeune fille contre des « vérités »inculquées .M. de La Vallée ne pouvait rien contre les torrents millénaires de la passion déchaînée. Déséquilibré par la surprise et le vertige des mots, il maitrisait sa colère et serrant avec énergie ses poings. Ses mâchoires claquaient :

-       Tu es une mineure ! Mineure ! Bon sang ! Trop jeune pour comprendre. J’ai la mission. De te protéger. je le ferai, malgré toi. Tu rejoins notre pays dés ce soir.

Il se détourna. Mireille hurlait encore :

-       Ne compte pas sur un suicide. Chaque pulsation de mon cœur tendra désormais à mon rapprochement avec Ousmane. Ousmane ! Tu entends ? Ousmane !

Elle s’engouffra dans sa chambre et s’affala la tête la première sur ses draps. Calmée, elle clarifiait ses idées …

Sa pensée se tourna affectueusement vers sa mère .Elle lui téléphona pour lui demander de la recevoir. Sa mère se déroba. Le domestique lui apprit que Madame était très fatiguée :

-       Le médecin est revenu trois fois depuis hier.

«  Un choc dur ! » admit Mireille.

La réaction de ses parents ne la surprenait pas. Fruits sélectionnés de la bourgeoisie, les réalités de la vie ne leur parvenaient que bonnes pensées et des bonnes manières avaient ses tabous et ses interdits. Entre prôner l’égalité des hommes et la pratiquer, il y avait un abîme à franchir et ils n’étaient point aptes à ce saut périlleux.

Sous les lustres des salons, ils serraient les mains noires, avec le sourire, mais sans âme.

Mireille secouait tristement sa chevelure. Prise de court, comment réagir ? Comment avertir Ousmane ? Comment le délivrer de l’inquiétude qui le tenaillerait jusqu’ au jour où elle pourrait lui expliquer ? Recourir au domestique ou au chauffeur était trop risqué : découverts, ils seraient renvoyés sans pitié.

Impuissante, elle griffa ses draps. Sa rage courbait sa nuque, emmêlait ses cheveux enfouissait son visage dans l’oreiller, martelait le sol. Elle hurlait son mal jusqu’ à satiété. Elle hurlait sa douleur ! Ses poings menus cognaient la porte .Elle hoquetait toujours alors qu’un domestique plaçait sur le sol deux valises vides.

« De la part de Monsieur, pour vos bagages, Mademoiselle. »

Son père exécutait sans tarder la menace de la rapatrier.

« Qu’importe ! » Elle bouda les mets servis aux heures des repas sur une table roulante.

« Qu’importe ! »Elle bourra pêle-mêle les deux valises de vêtements, de livres, d’objets, de toilettes. Elle accorda toute son attention au classement des lettres de son amoureux. Elle les groupa en un paquet soigné et glissa en leur sein la petite photographie récupérée.

Elle attendait l’heure de départ. 

« A vingt-deux heures ! » avait précisé son père par le domestique.

La nuit était déjà noire, striée inégalement de lumières suspendues entre ciel et terre, quand la voiture du diplomate emprunta, en passant devant l’Assemblée nationale, la cornique qui mène à l’aéroport de Yoff.

Mireille frissonnait en faisant une fois de plus ce chemin. La voiture dépassa en trombe l’université. A gauche « sa plage», derrière ces rochers. L’effondrement des vagues était cruel à son cœur meurtri !

Elle se recroquevillait sur la banquette, les yeux remplis de larmes.

Le village d’Ouakam-Banlieue de Dakar-. Une montée. Un « stop »prudent. Devant elle, le phare des Almadies balayait la  nuit. Un virage. L’hôtel de Ngor triomphait de l’ombre, tel un fanal troué de petites étoiles. Des voitures luxueuses encombraient l’entrée du casino du Cap-Vert.

Un silence menaçant isolait le père de sa fille tandis que la voiture reposait les ténèbres. Des changements de vitesse opportuns, un soubresaut brutal. Le véhicule se stabilisa enfin sur le parking du salon d’honneur de l’aéroport.

Mireille, pour descendre, n’attendit pas l’autorisation paternelle. Elle se dirigea vers le salon et s’installa dans un fauteuil. M.de La Valée donna des ordres pour les  formalités d’embarquement et l’enregistrement des deux valises.

Une animation régnait sur les lieux. Le Ministre des Affaires Etrangères revenait d’un long périple à travers l’Afrique et les membres de son cabinet, des amis, des parents, quelques électeurs intrigants tenaient à l’accueillir.

Ils trompaient leur impatience en buvant des jus de fruits. La gaieté bruyante de cette assemblée énervait Mireille, autant que les rires à gorge déployée et attitudes pleines de suffisance.

Ceux qui reconnurent le diplomate la saluèrent avec déférence. Détendu, affable M. de La Vallée souriait, serrait cordialement les mains noires, hochait la tête :

-       Non je ne voyage pas. J’accompagne ma fille fatiguée qui va respirer l’air de la montagne. Une bouffée d’air pur est toujours la bienvenue en période de croissance.

Et il désignait Mireille d’un geste attendri. Il masquait son tourment dans son rôle paternel joué avec un art consommé de la bienséance. Nulle trace de colère raciste dans sa voix et son allure. Les reproches ? Oubliées ! Les menaces proférées ? Evanouies !

Mireille, craintivement, se pelotonnait sans son pull-over. Ses yeux rougis et ses traits las pouvaient être interpelles comme les signes extérieurs d’une maladie.

Le haut-parleur, avec la voix posée et agréable d’une hôtesse, invitait à l’embarquement.

Le diplomate sourit, serra amicalement les mains noires et prit congé en poussant sa fille affectueusement sa fille vers la sortie. La passerelle était déjà dressée et accueillait les premiers voyageurs.

Il donna à son enfant le baiser hier refusé.

Elle répondit  sans élan à son salut, comme une momie.

La passerelle franchie, Mireille se laissa choir dans le premier fauteuil offert à sa fatigue. Elle couvrit ses jambes de son pull-over chiffonné. Elle redressa machinalement son fauteuil et attacha sa ceinture avant l’invitation de l’hôtesse.

Des vrombissements ! L’avion se détachait du sol, s’élevait.

Mireille songeait. L’hôtesse « Qu’importe ! » se passait et repassait en lui souriant, devinant en elle, l’unique  jeune passagère de la première classe, la fille du diplomate qu’on lui avait recommandé de surveiller discrètement.

Les gentillesses de l’hôtesse n’eurent pas raison de sa froideur. Elle repoussa rafraichissements et journaux. Peu à peu, vaincue par l‘ épuisement, elle sombra dans le sommeil.

*

*  *

La désagréable morsure du froid qui accueillit Mireille raviva sa douleur .Elle changeait de pays, d’Université, de cadre de vie, sans effort de réadaptation. Elle reconnaissait en tout, avec dégout, la méthode de son père : la rigueur et l’efficacité faites homme, sans le moindre frisson du cœur.

Des ordres avaient été donnés, des relations utilisées pour qu’elle ne manquât de rien.

Mais qu’espérait-on de l’influence du changement de pays ? On la détachait  de son amour pour su’ elle oubliât.

Mais bien au contraire, du froid vif naissait le regret du soleil chaud.

Elle n’attendait pas pour écrire à Ousmane et rétablir le lien rompu si cruellement.

Dans une grande enveloppe, elle glissa la dernière photographie de son album, celle qui la représentait en longue robe bleue égayée d’une rose blanche.

Elle relut la missive rédigée d’un trait. Elle la plia soigneusement et la joignit à la photographie.

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  • Ce roman retrace une grande histoire d' amour entre un jeune sénégalais et une jeune française . Confrontée aux difficultés ,saura-t-elle résister aux nombreuses pressions de la société sénégalaise?
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