Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
)î( UN CHANT ECARLATE )î(
2 juin 2021

PP-3

3

PREMIERE PARTIE

3

Ousmane Guéye pouvait-il appeler relation amoureuse ses  divertissements avec la nièce de tante Kiné, une femme du quartier qui entretenait avec Yaye Khady de très bons rapports ?

Il croisait, quand il quittait le lycée, vers le domaine du marchand de charbon, la nièce de tante Kiné, portant au bras son panier noirci.

Cette enfant, dépêchée nuit et jour chez Yaye Khady, assiégeait leur logis. Ses visites avaient pour objet des emprunts divers : une pièce de monnaie, un morceau de poisson sec, une poignée de sel, rien qu’une pincée de poivre.

Si la nièce se présentait avec une bouteille, corvée pour Ousmane : il fallait installer au goulot de la bouteille l’entonnoir et y verser l’huile ou le vinaigre ou l’eau de javel, « empruntés» parceque le Maure commerçant déjeunait ou dinait, priait ou avait fermé sa boutique.

Ousmane ne sut jamais pourquoi sa mère se laissait berner par tante Kiné. Cette femme possédait l’art de ne rien acheter et de sur les réserves de Yaye Khady.

Elle arrivait en visite lorsqu’ elle était sûre de trouver Yaya Khady seule, Djibril Gueye n’appréciant guère ses manières de parasite. Tante Kiné se plaignait en termes justes qui suscitaient l’apitoiement. Troisième épouse, elle devait faire front à l’unité de combat et de défense de ses coépouses plus mûres qu’elle, qui tiraient de leurs « expériences de vieilles guenons », des « grimaces »qu’elle ignorait.

-      Ce sont leurs enfants qui me tracassent le plus. Je ne sais où me mettre. Ils me reprochent même le sable de la cour que je foule et l’air du logis que je respire.

Tante Kiné élevait à dessein le degré de ses humiliations et de ses souffrances pour attendrir. Et Yaye Khady consolait, conseillait, prêtait.

En attendant, le boubou emporté hier par la nièce , enveloppé dans des journaux pour servir de modèle au Toucouleur vendeur de tissus , ne revenait pas.

Demain, Ousmane sera à nouveau dépêché à la récupération. Il trouvera la porte de tante Kiné close, la nièce assise sur la grosse brique du seuil, et elle, la nièce expliquera, malicieuse :

-      Ma tante est allée à un baptême. Elle a mis un boubou vert ave des fleurs jaunes. Elle s’est poudrée. Elle est belle, ma tante dans le boubou vert.

Le boubou vert ! Ousmane devinera : le boubou de Yaye Khady. Il s’en retournera les mains vides. A sa mère, il dira :

-      Tante Kiné est sortie

En enfant bien éduqué, il ne voudra pas être traité de « rapporteur», de « fossoyeur d’amitié». Les boubous de Yaye Khady pourront bien défiler chez tante Kiné. Ousmane ne révélera jamais l’usage qu’on en faisait.

A chaque rencontre, Ousmane taquinait la nièce de la voisine. En causant avec elle le long de la rue, il lisait de la vénération dans le regard enfantin. Il déviait de leur chemin. Il l’attardait, lui tenait la main, histoire de doser son pouvoir de séduction. La petite, amoureuse, émerveillée, consentait à ses caprices.

Mais Ousmane eut la générosité de ne pas dépasser les limites décentes. Il sut se retenir, comme un brave petit homme conscient. Mieux, il changea de chemin, lassé par ces jeux qui enchantaient ses sens, mais laissaient indifférents son cœur.

Depuis des années, Ousmane Guéye paraissait donc immunisé contre la passion. Il passait à travers les pièges tendus, les œillades appuyés, les barricades les mieux dressées pour sa capture. Des ombres de méfiance obscurcissaient son ciel.

Mais, bousculant les ombres, une soudaine clarté illumina cet horizon. L’amitié d’une nouvelle élève blanche, Mireille de la Vallée, avait rythmé trop rapidement à son gré ses cours de terminale. Le même intérêt pour la philosophie les avait rapprochés. Le même esprit critique les isolait sur le trottoir où Mireille attendait, pour regagner son domicile, la voiture de son père, un diplomate des services de la primature.

A l’épreuve orale de langue vivante au baccalauréat, le trac noyait le vocabulaire d’Ousmane. Les réponses possédaient un contour clair dans son esprit, mais les mots pour les préciser fuyaient, alors qu’ il le connaissait. Il se trouvait coincée.

En face de lui, dans un coin de la classe soustraite à la vigilance de l’examinateur, Mireille suivait l’interrogation en attendant son tour d’être « dépecée ».

Quand Ousmane butait sur un mot, et fouillait en vain sa mémoire traitresse pour le trouver, elle arrondissait ou étirait ses lèvres pour le secourir.  Et Ousmane s’accrochait à nouveau relançait son exposé, s’enhardissait. On aurait même dit  que la fille blanche l’inspirait, que les yeux perçants et volontaires, communiquaient à son esprit un regain de lucidité.

Noblesse oblige ! dit-on. Ousmane remplaça discrètement la jeune fille dans le même coin. Il vola à son secours, par la même voie de la mimique.

A la sortie, ils rirent malicieusement de leur trouvaille.

A la proclamation des résultats, la chance leur avait souri. Ils étaient admis d’office avec mention.

Pas de remords, pas de honte. Ils savaient bien l’un et l’autre que leur réussite dépendait des épreuves à coefficient élevé.

Ils se félicitèrent confrontant leurs réponses aux diverses questions, situèrent les points où ils avaient failli et trouvèrent que la dernière question de l’épreuve de mathématiques avait provoqué le léger recul de Mireille.

Ils se séparèrent, pour les vacances, heureux, sans formalité autre que la banale poignée de mains et le sourire de la réussite.

Mais le destin veillait. Il avait ainsi posé ses premiers jalons

*

* *

Les services du ministère de l’Education  nationale et de la Culture proposèrent à Ousmane Guéye une bourse d’études en France, pour préparer le concours d’entrée à l’Ecole normale supérieures. Il choisit de rester à Dakar. Son sens familial l’emportait sans hésitation sur son ambition et sa curiosité : Djibril Guéye vieillissait, Yaye Khady, pétrie de tendresse, supporterait mal son absence ; son frère et ses sœurs, si jeunes avaient besoin de guide.

Ouleymatou informée de la réussite scolaire d’Ousmane qui ouvrait l’avenir sur les hautes sphères de la connaissance, esquissa de timides sourires, simula des rencontres pour le reconquérir. Mais à ses avances, Ousmane répondit par une politesse glaciale.

Il put être indifférent, d’ autant plus que l’euphorie du succès estompée, il découvrit la persistance du souvenir lié aux moments de l’examen. Mais ces moments s’évanouissaient lentement et le souvenir grandissait démesurément. La forme blanche l’envahissait. Elle arrondissait ou étirait ses lèvres pour le tirer d’embarras. Elle secouait sa chevelure dorée et soyeuse. Les longs cils de ses yeux pers frémissaient. Elle lui souriait. Elle regardait.

Il lui suffisait de suspendre sa respiration, de fermer les yeux, pour ressentir le contact ouaté de la main douce, mollement abandonnée dans la sienne. La voix aux intonations charmeuses caressait son oreille et le berçait.

Ousmane se surprit à préférer la solitude aux discussions fracassantes. Ruminer souvenirs ! Se soustraire aux visites ennuyeuses et bruyantes des copains ! Tout lui paraissait dépourvu d’intérêt en dehors de Mireille ! Que Ouleymatou était futile, comparée à sa compagne de classe si intelligente !

Le souvenir léger, parfumé, l’accompagnait partout. Il était son bien, son secret qu’il animait à sa guise. Le nom précédé de particule faisait de la jeune fille blanche sa princesse.

Sa raison, son alliée de toujours, le mettait en garde contre son imagination qui ébranlait ses résolutions de chasteté et d’indifférence. Mais Ousmane se laissait dominer par son rêve. Sa folie le grisait.

Qu’importait ! Se laisser aller après les douces contraintes des révisions ! Se laisser aller après les efforts harassants pour ne pas confondre les formules ! Se laisser aller et profiter goulûment de la compagnie discrète de cette amie invisible et ailée, qui accourait vitre, très vite à son appel ! Se laisser aller d’ autant plus qu’il était sûr de ne jamais la revoir !

Au cœur de ses songes devenus quotidiens, au centre de son désir, les lèvres fines palpitaient.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Visiteurs
Depuis la création 570
Publicité
)î( UN CHANT ECARLATE )î(
)î( UN CHANT ECARLATE )î(
  • Ce roman retrace une grande histoire d' amour entre un jeune sénégalais et une jeune française . Confrontée aux difficultés ,saura-t-elle résister aux nombreuses pressions de la société sénégalaise?
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Newsletter
Publicité