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)î( UN CHANT ECARLATE )î(
27 mai 2021

PP-1

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PREMIERE PARTIE

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Usine Niary Tally-Quartier du Grand – Dakar -au nom inspiré par les deux chaussées parallèles qui le traversent et la proximité de l’usine de biscuiterie- secouait sa torpeur nocturne, sous le soleil qui s’ébrouait. Les dernières ombres se dessoudaient, restituant aux choses formes et couleurs.

A cette heure du jour Ousmane ne dormait plus. Dans un délicieux engourdissement, les yeux mi-clos, il accordait, dans sa pensée, les bruits à des gestes précis…

Trass ! Trass ! Trass ! Le pas de Yaye Khady !

Trass ! Trass ! Trass ! Des pas résolument dirigés vers sa fenêtre…

Un coup, un autre coup, plusieurs coups et chaque fois, le diminutif de son prénom, «Oussou ! », répété impérieusement.

«Oussou ! Oussou ! » Le tambourinement saccadé persistait, lui arrachant des houm intermittents de plus en plus nets, qui l’aidèrent à vaincre les dernières résistances de son inertie.

Aussi finit-il par se dégager du désordre de la couverture, finit-il par bâiller, s’étirer, bâiller encore, rassembler ses sandales et déverrouiller sa porte.

Il se dirigea alors vers la « douchière » de l’habitation, coin protégé par des feuilles de zinc rouillées et tapissé de pierres noires.

L’eau tiédie par la mère facilita sa toilette matinale, car le vent glacé, giflant les zincs, paralysait ses doigts. En se frottant, il sentait son cœur battre un peu plus vite : une nouvelle année scolaire commençait.

Pour l’ inaugurer , il préféra son ensemble africain en lagos -Tissu imprimé- brodé , qui lui avait porté chance à l’ examen du baccalauréat et remplaça ses sandales par des chaussures fermées .

Comme toujours, à cette heure, son père était absent : il mêlait sa voix au chœur des prières à la mosquée.

Dans la cour, Yaye Khady rationnait le pain du petit déjeuner. D’un coup d’ œil furtif , elle vérifia la « tignasse » de son fils aîné :

-       Tu ne déjeunes pas ? Le quinquéliba -Tisane- est chaud.

Ousmane déclina l’invitation.

-       Tu sais bien, Yaye- Maman, Mère -, que je ne prends  rien le matin, les jours de classe.

Yaye Khady haussa les épaules :

-       Tu changes d’école ! Tu peux bien changer tes habitudes !...

Bref dialogue entre une mère attentionnée et son fils pressé. Et Ousmane gagna la rue.

La rue ! Rythmes ! Couleurs ! Déjà les deux chaussées du quartier grouillaient de monde.

Pour économiser le coût du transport, qui comptait pour les siens, Ousmane avait accepté de ne jamais prendre les cars.

Il évalua la longueur de son nouveau trajet. « Ainsi, je disciplinerai mes pas , les ralentirai ou les presserai selon les délais disponibles ! »

Cette année, son itinéraire se rallongeait : « Bah ! Je me lèverais plus tôt que de coutume, à l’ instant où le couvercle du satala njappu –bouilloire pour ablutions – paternel tintera, au lieu d’attendre les reniflements de mon frère ou le trass, trass des savates de Yaye Khady. »

La marche lui était familière. Il avait acquis, depuis plus de dix ans qu’il fréquentait l’école, le secret de vaincre les distances. Il oubliait les kilomètres en « flirtant »avec la rue.

La rue ! Vie et lumière ! Comme Ousmane la pratiquait en parfait ami ! Sensible à ses besoins, il dénombrait ses particularités. Situant ses misères, il était toujours au diapason de son humeur aussi variable que les heures et les saisons.

Trait d’union essentiel de la cité, la rue supportait, avec le même flegme, le voisinage des taudis et des logis somptueux…

Qua cachaient aux méandres de la chaussée ces murs délabrés ! Ces façades défraichis par les ans, quelles histoires avaient-elles à conter ? L’humble logis autant que l’orgueilleuse demeure pouvait abriter une harmonie familiale ou connaitre le règne de la discorde et de l’animosité.

Intimité des volets clos ! Toits de chaume ! Tuiles roses ! Pierres lézardées ! Clôtures tapissées de fleurs ! Portails en fer forgé ! Baraques boiteuses ! Murs en banco ! Briques rouges des façades ! Plainte du feuillage froissé par les vents ! Ousmane marchait toujours.

Sous le même réverbère, l’aliéné qui, chaque matin exigeait l’aumône par sa main tendue. La luminosité de ses prunelles, dans la tourmente de son regard, troublait. Et Ousmane fuyait ce spectre en admirant le ciel.

Le ciel ! Une immensité où des nuages pourpres et or, regonflés, couraient en d’interminables chevauchements. Où allaient les files d’oiseaux qui prenaient dans l’espace la relève de ceux de la veille ? Iraient-ils mourir en captivité ou périr, victimes des intempéries ?

Ousmane marchait toujours. Laideurs saisissantes dans la rue, les enfants en groupes ou solitaires vêtus de haillons ! Grelottant dans le froid de novembre, les yeux éplorés et le visage limé par la faim, ils prenaient d’assaut le cœur des passants. Des aveugles animaient leurs ténèbres de complaintes attendrissantes. Manchots, bossus, unijambistes, tous les handicapés se refugiaient dans la générosité de la rue : l’étalage de l’infirmité suscite la pitié, la pitié déclenche le réflexe charitable qui adoucit la misère. Ousmane avançait. Et la rue se déployait, tantôt lisse, tantôt défoncée. Digne ou vulgaire, coquette ou poussiéreuse, animée ou calme elle s’étirait, serpentait, s’élargissait ou se rétrécissait.

Ousmane se souvenait … Les classes de son enfance !.. Les maîtres qui, se succédant avaient fait de lui un bachelier !

L’amour de l’effort, ils le lui avaient inculqué. Ils lui avaient montré comment se forge, dans la patience et le travail, la clé du succès.

Djibril Guéye, son père, avait aidé à sa réussite scolaire, lui inspirant le goût du labeur et l’humilité qui n’exclut pas l’ambition.

« Le travail seul hisse !» répétait-il inlassablement, tenant sa philosophie d’une enfance dure vécue au dahra-internat d’enseignement coranique-, sous la férule impitoyable d’un marabout tyrannique.

« La dissertation quotidienne sur les lois divines n’avait pas éteint en notre maître la soif des biens terrestres. »

Djibril Guéye confiait, déçu : « Dans son éducation, l’enseignement religieux ne primait point : les talibés-Elève de dahra, petit mendiant- étaient  davantage dressés pour la mendicité.»

La dernière guerre avait surpris Djibril Guéye dans ce dahra, remplissant les àlluwa-Tablettes en bois, ardoises-, à a place du maître. Les études coraniques de son fils terminées, le grand-père d’Ousmane avait exigé le maintien de Djibril là « pour toute la vie ».

En ces temps, la parole paternelle pesait plus lourdement qu’aujourd’hui dans l’orientation des destinées. Les enfants, même adultes, se pliaient à des exigences familiales qui allaient parfois à l’ encontre de leurs intérêts.

La guerre, avec le recrutement massif de tirailleurs sénégalais-Corps d’armée coloniale formé de soldats recrutés non seulement au Sénégal mais dans les divers territoires de l’ex-AOF- avait délivré Djibril Guéye du joug maraboutique. En le déliant du serment paternel, elle reculait son horizon au-delà des veillées de lecture à la lumière des feux de bois. Djibril Guéye découvrait que d’autres voix emplissaient la terre, qui pouvait s’accorder avec la vénération de Dieu.

Il était revenu de la guerre avec une jambe plus courte que l’autre et de nombreuses décorations. Son titre d’ ancien combattant le privilégiait dans ses rapports avec le Blanc : ainsi , son invalidité et la « reconnaissance» d’ une administration coloniale lui avaient permis d’ occuper , dans le Grand-Dakar , une demi-parcelle.

Sans profession, il passait le plus clair de son temps à raconter « sa » guerre et à vitupérer contre les allemands, ces tubaab-Ces blancs- qui, par haine des Noirs, en voulaient aux français.

Il était pour ses voisins « celui qui avait vu Paris ». Cette « chance »lui ouvrait bien des sympathies.

L’admiration et la générosité d’un coreligionnaire l’avaient nanti d’une épouse et belle, Yaye Khady Diop.

Ousmane marchait toujours et la distance raccourcissait. Il fouillait sa mémoire, en effervescence ce matin-là, pour trouver la cause de l’admiration sans bornes qu’il vouait, enfant à son père. Sa bonté ? Sa charité ? Son adhésion profonde à l’islam ? Peut-être , plus de nombreuses médailles  que Yaye Khady épinglait fièrement sur le boubou blanc empesé qu’ arborait son père , pour aller toucher, tous les trimestres , sa pension d’ ancien combattant .

Au fur et à mesure qu’il grandissait, comparait, cette admiration se consolidait, justifiée par le comportement de son père : « Les enfants, en grandissant, distinguent l’honnêteté de la fourberie, le sens de la responsabilité sous l’avalanche des reproches, l’affection protectrice dans la sévérité du regard. Les enfants, en mûrissant jugent leurs parents. Et leur verdict s’inscrit parfois sans appel..»

Surtout , Ousmane savait gré à son père d’ avoir résisté à la tentation de nouvelles épouses. Djibril Guéye avait conscience de ses faibles moyens de subsistance, limités aux rentrées trimestrielles de sa pension. Mais, comme bien d’autres, il aurait pu s’octroyer avec facilité, trois autres femmes et encombrer la demi parcelle.

Son attitude lui évitait les remous intérieurs qui tiraillaient son voisin Pathé Ngom , après l’ audition de l’ imam, à la prière du vendredi.

« Être droit comme le fléau d’une balance entre ses deux plateaux ! Doser compliments et remontrances ! Se donner équitablement ! Mesurer gestes et comportements ! Et partager tout justement ! »

« Voilà des prescriptions dures à observer », commentait Ousseynou, fils ainé de Pathé Ngom.

Par les confidences de ce frère de case-Celui qui, circoncit en même temps que vous a subi dans la même case les épreuves virilisantes-, Ousmane avait des détails précis sur la vie polygamique : La « dépense » de toute la concession était remise à chaque épouse, tous les deux jours. La femme avait l’écrasante responsabilité de transformer cette somme en plusieurs repas. Elle quémandait souvent pour flatter les goûts gastronomiques du Borom Ker-Le maître de la maison- et ménageait sa réputation en mettant ce qui restait de meilleur dans le plat des adultes. D ans cette répartition du contenu de la marmite , les enfants étaient lésés et leurs doigts ne heurtaient que des os dans le couscous ou le riz.

Ousseynou s’étonnait : les Guéye mangeaient lentement. Chez lui, dans le groupe des enfants, on ne mâchait pas : on avalait pour « profiter » le plus possible, rivalisant avec les « poignées géantes» des aînées redoutés qui se taillaient des parts royales. Personne ne protestait de peur d’être traité de siskat-Celui qui répugne à partager la nourriture -.

Dans la concession de Pathé Ngom, Ousmane avait assisté à des scènes dramatiques, nées des rivalités entre coépouses. Les enfants qui soutenaient leurs mères étaient entrainés dans leurs disputes et partageaient leurs rancunes tenaces. Dans les « face-à-face », la bassine d’eau sale, le fourneau malgache et ses braises , les tessons de bouteilles , la casserole d’ eau bouillante , l’ écumoire , le pilon devenaient des armes .

Ousmane sourit :

-       Dieu merci, Yaye Khady est l’unique jegg-Dame- de notre concession ! Dans sa cour, elle dirige son regard exigeant partout et ses mains frottent, raclent, rangent, rectifient selon ses seuls ordres ! Chaque jour lui ouvre un éventail de charges complexes et l’éventail, resserré le soir, se rouvre le lendemain, très tôt, inlassablement.

Yaye Khady, jeune et bien portante, ne se plaignait ni du transport des bassines remplies d’eau de la fontaine publique, ni de la fumée piquante des feux de bois qui rougissaient ses yeux, ni du balai trop court si fatiguant.

-       Le cœur de Yaye Khady est une outre pleine qui, pendant longtemps, n’ a profité qu’ à mon père et à moi.

Ousmane sourit encore :

-       Certes la vie n’est pas toujours facile. Mais dans la baraque, l’entente et l’affection règnent.

Grâce à ses maternités espacées, « à la manière de l’éléphant»-Tous les cinq ans dit-on-, murmurait-on dans le quartier, Yaye Khady s’épanouissait, contrairement aux autres femmes plus prolifiques.

Elle n’avait pas à envier ses amies dont les aînés avaient été des filles. Ousmane, très tôt, avait accepté d’être « ses jambes et ses bras », la ravitaillant en charbon et en eau. De plus, il savait choisir les condiments et ruser avec son copain de jeu Ousseynou, pour ne pas être vu , quand il se substituait à sa mère dans les séances pénibles de balayage.

De fréquents tête-à-tête avaient tissé, entre la mère et le fils, une complicité qui les comblait.

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  • Ce roman retrace une grande histoire d' amour entre un jeune sénégalais et une jeune française . Confrontée aux difficultés ,saura-t-elle résister aux nombreuses pressions de la société sénégalaise?
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