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)î( UN CHANT ECARLATE )î(
26 juillet 2021

TP-7

7

TROISIEME PARTIE

7

Alors que Rosalie s’évertuait à distraire Mireille de ses pensées noires, Ousmane Guéye avait déjà installé sa nouvelle famille dans une maison spacieuse, qui avait permis à drainer à la suite d’Ouleymatou, belle-mère, frères et sœurs pour dissimuler , au voisinage , la vraie maitresse de maison.

Prudent, il avait averti :

-       Pas de tour ! Je viendrai quand je le pourrai. Je ne passerai quand je le pourrai. Je ne passerai jamais la nuit entière. Mais Ouleymatou ne manquera de rien.

Aux attaques renouvelées d’Ali, pour le ramener à son foyer, Ousmane opposait un entêtement décevant. La perturbation de la vie de son meilleur ami désorientait Ali. Il pensa, lui, un homme rationnel, aux possibilités maléfiques d’un maraboutage.

Ousmane n’aurait-il pas été victime du dédalle, ce sortilège par lequel les amoureuses s’attachent un homme ?

-       Peut-être ! peut-être bien ! se lamentait Rosalie.

N’aurait-on point  « enfoncé » l’âme d’Ousmane dans une corne enfouie au bord de la mer, comme le flux et le reflux des vagues ?

Peut-être ! Peut-être bien !

L’âme d’Ousmane ne serait-elle point « suspendue » à une porte d’entrée, dans talisman qui la ramenait précipitamment vers sa Négresse ?

-       Peut-être ! Peut-être !

Agité, Ali rejoignit son ami à la sortie de son cours. Ousmane s’apprêtait à rejoindre Ouleymatou.

-       Ne démarre pas, écoute-moi plutôt.

-       Le même sujet encore ? s’enquit Ousmane.

-       Hélas oui, répondit Ali. L’amitié a des devoirs. Quel que soit le respect dû aux parents, le fait que tu te trouves  dans le même camp que Yaye Khady dans ce problème démontre clairement ton erreur. La vérité de Yaye Khady ne peut être tienne. Toi, souscrire aux idées de ta mère et à son goût ridicule du faste ! Toi Ousmane, toi, trahir la confiance ! Je te reconnais mal dans ta peau neuve …Et puis, que reproches-tu à ta femme ? Sa couleur ? Sa mentalité ? Les mêmes griefs que formulait La Vallée ? Ridicule ! Tu es raciste maintenant…

Ousmane écoutait. L’amitié lui parlait un langage raisonnable. Mais comment décrire son combat quotidien, entre ses sentiments et sa maison ?

-       Tu ne m’apprends rien, dit-il. Et je ne me renie pas. Mais l’homme est complexe dans ses aspirations. Mais l’homme est complexe dans ses aspirations. Toutes les conditions de son épanouissement sont difficiles à réunir. Je reconnais que j’ai, en Mireille, une femme qui m’aime. Mais j’éprouve à ses côtés une impression déterminante d’insatisfaction, de manque. Alors, tout bascule…Ajoute à cet état de choses l’ aversion réciproque de ma mère et de ma femme…la mésentente entre Mireille et mes copains sauf toi bien sûr , toi son « avocat », mais tous les autres , selon ses termes , « violent notre intimité ».

Ousmane se tut … un instant. Il secouait la tête.

-       Il ya la force des habitudes, poursuivit-il , la force des croyances dont on ne peut se départir sans être déraciné. Le poids du passé reste déterminant. Je me cherche en vain en Mireille. Elle ne répond pas à mes aspirations.

Ali restait incrédule :

-       Mireille pourtant peut comprendre bien des choses. Mais c’est parceque tu es compliqué ! Tu essaies de donner à l’esclavage de tes sens un contenu culturel. Tu crois que cette idiote d’Ouleymatou qui n’a même pas bien terminé ses études primaires peut être d’un apport positif dans l’orientation de ta vie.

Mais elle connait la légende de Samba Guéladio, elle connait nos proverbes. Nous pouvons communier dans une remarque, un salut, un clin d’ œil et c’est important, rétorqua Ousmane. Nous avons les mêmes références anciennes.

Ali, railleur ;

-       Dans l’encens et le gongo, en comptant les perles de ses reins ! Ne fais pas l’idiot, je pense qu’on « t’a mis quelque part ». Ton cœur est rempli d’Ouleymatou au détriment de ta dignité. Il faut la déloger.

-       Comment, interrogea Ousmane intéressé.

Ali impérieusement :

-       Demain, tu n’as pas cours ? …Bien Attends –moi devant la porte à six heures du matin …D’accord ?

Ousmane acquiesça ? Coquin.

-       D’accord…

Ali regarda la voiture bifurquer dans la direction de la villa louée pour Ouleymatou. Il secoua la tête, navrée.

*

* *

Sur la route, tassée sur le siège, à côté de son ami, Ousmane méditait. Ali, dans sa brutalité, avait peut-être raison. Des forces surnaturelles déclenchées à son insu l’obligeaient peut-être à haïr ce vers quoi tous ses rêves, tous ses efforts, toute son existence avaient tendu, depuis cinq ans. Etait-il conditionné pour avoir Ouleymatou dans la peau ? Pour ressusciter l’amour de son enfance, Ouleymatou avait-elle usé de cette ficelle blanche où les marabouts façonnent patiemment des nœuds en mêlant le nom de l’élu à des incantations ? Les plus durs ne résistent pas à cette épreuve, affirmait-on.

Ou encore l’avait-on éloigné de Mireille en jetant dans deux directions opposées les deux moitiés d’un feuillet griffonné de signes ?

Son énervement devant Mireille et le peu de tendresse qu’il prodiguait à son fils métis étaient anormaux.

L’expérience proposée par Ali méritait d’être tentée, d’ autant plus qu’un souvenir d’enfance, plaidait en lui pour les pratiques ancestrales.

Mère Fatim , la première épouse de Pathé Ngom , régnait en tigresse dans leur logis et usait exagérément de ses prérogatives de aawo-Première épouse- enrichie par le commerce de pain de singe, d’ arachide et de mil , longtemps exploité à une cantine du marché Nguélao-Marché au vent , situé au Grand-Dakar- . Ses coépouses se méfiaient de sa langue de vipère qui savait dénaturer les faits anodins et tourner à son avantage toutes les situations.

Surtout, elle déclenchait contre les autres, les vociférations du chef de famille toujours enclin à lui donner raison.

Combien d’épouses nouvelles avaient plié bagage, répudiées par Pathé Ngom à cause de leur impolitesse vis-à-vis de mère Fatim ?

Une nouvelle venue, Maimouna, avait juré d’ « enfoncer des racines indestructibles dans la terre de la concession ». Mère Fatim serait étrangère à sa répudiation, si elle devait un jour retourner dans sa famille. Maimouna se méfiait. Elle évitait de croiser la «  veille » pour ne pas être traitée d’effrontée. Elle n’utilisait guère les ustensiles de mère Fatim même s’ils traînaient dans la cour, comme pour la tenter.

Quand Maimouna balayait, elle nettoyait partout, tamisant davantage le sable devant la porte de Mère Fatim. Elle lui remplissait quotidiennement ses jarres pendant ses absences fréquentes. Elle proposait souvent de cuisiner à sa place, à ses périodes de tour.

La mère de Maimouna lui avait conseillé :

«  Le chemin de la paix est court. Agis avec ton aînée comme tu agis à mon égard.»

Mais il était difficile d’échapper à la malveillance de Mère Fatim. Elle trouvait toujours des motifs de critiquer : couscous  plein de sable ou trop salé, des cailloux dans le riz « mal trié » si ce n’est le poisson  « pas frais » qui  «  peut empoisonner toute une concession.»

Maimouna encaissait calmement les reproches, sous les regards moqueurs des autres épouses. La présence d’hôtes augmentait la malveillance de mère Fatim .

Ousmane se souvenait… Un jeudi. Il était à Ngoméne –Chez les Ngom- quand vers midi, mère Fatim revient du marché.

Son regard alla droit au fil de fer où étaient suspendus les vêtements amidonnés de Maimouna.

-       Qui a mis ces vêtements à la place des miens ? Ils sont sans doute vieux, mes vêtements, à mon image. Mais ils me sont chers.

De sa chambre, Maimouna entendait les provocations. Mais Yaye Khady, en visite chez elle, lui fit signe de ne point sortir et de garder la bouche cousue.

Alors, mère Fatim se planta devant la porte de sa jeune rivale :

-       C’est toi qui as osé  ce que personne n’ose ? Mettre tes vêtements à la place des miens sur mon propre fil de fer. Quelle audace !

Maimouna lui remit ses vêtements bien empilés :

-       Ils étaient bien chauds et secs quand je les ai enlevés.

La main de mère Fatim repousse le paquet, appliqua une paire de claques sonores sur les joues de Maimouna, avec la force de la haine et la noirceur de l’ingratitude.

Maimouna recula. A sa souffrance, se mêlèrent la surprise et la honte. Les dérobades multiples infligées à son courage étaient donc interprétées par cette vieille comme de la veulerie ! Elle avait encaissé allusions perfides, remontrances inutilement ! Quoi ? Elle s’usait à trimer doublement au lieu de se reposer pour une femme sans reconnaissance ! Mère Fatim ne méritait aucun respect. Comme les ex-épouses, Maimouna allait lui « faire voir » !

Elle recula pour mieux s’engouffrer dans les pagnes de mère Fatim. Elle la souleva de l’épaule et la jeta violemment sur le sol. Yaye Khady, écœurée, retardait son intervention. Elle laissa à Maimouna le temps d’asseoir ses grosses fesses sur la poitrine sèche de la vieille et de rendre aux joues ridées, en les multipliant, les claques reçues.

Alors seulement, Yaye Khady cria :

-       Venez ! Venez ! Elles se battent.

Mais l’on s’aperçut qu’il n’y avait pas de bataille. Maimouna seule donnait les coups. Les cheveux blancs de mère Fatim, imprégnées de sable, perdaient leurs gris-gris.

Il fallut des mains fortes pour décrocher les doigts de Maimouna du cou ridé de sa coépouse qu’ils serraient furieusement.

Libérée, Mère Fatim ne se releva pas. Ses enfants la transportèrent dans sa chambre, l’œil révulsé.

Sa sœur appelée d’urgence de Pikine diagnostiqua :

-       Emprises de rab. Vous savez bien que sans l’intervention malveillante des rabs, Fatim peut « casser» trois Maimouna. C’est le rab qui a terrassé mère Fatim le négligeait au prix de son commerce. Il se venge. Pour le contenter il faut organiser un ndepp-Danse d’exorcisme-

Conciliabules, discussions, interdiction de l’islam par la voix de l’imam, rien ne put changer l’opinion de la famille de mère Fatim. Pour la guérison de la vieille femme, elle exigea de ndepp.

Le jeudi choisi, dés trois heures, l’envahissement progressif des bancs qui limitaient l’emplacement de la dans païenne ! Des danseurs de ndepp étaient désignés du doigt par des spectateurs hardis.

Le rythme du tam-tam étoffait les chants incantatoires. Mère Fatim, assise sur une natte, tendait des chevilles et des poignets ceints de ficelles blanches. Ses yeux profonds vivaient intensément sous une couronne brune de sang. Ses joues s’enfonçaient, maquillées de suie de marmite, dans ses mâchoires saillantes. Elle croisait et décroisait ses jambes amincies par l’inertie, pour se donner une contenance, alors qu’on louait la Reine des eaux, Mame Coumba, alors que l’ on célébrait le Peul , roi de la pleine.

Les exhortations, nées dans la nuit des temps, issues de la tourmente de l’angoisse et de l’impuissance humaine face à l’irrationalisme de certains événements s’amplifiaient.

Dans cette foule attentive, des êtres humains rivés par des legs au service des rabs et désignés pour perpétuer les offrandes de chair et de sang. Leur ancêtre avait, nul doute, rougi le bleu des mers par des fêtes de sacrifices. Il avait tressailli de peur ou de joie quand les vagues gourmandes avaient léché à ses  pieds le sang répandu. Il avait écouté les voix du large et trouvé, dans leur sage gravité, le baume de ses souffrances. Ses inquiétudes s’étaient-elles fondues alors dans les remous des eaux et ses désirs emportés pour être exaucés par le souffle intense des vents ?

Des bras imploraient le ciel en jets saccadés. Femmes et hommes conversaient avec l’Invisible. Leurs yeux rivés au même point vivaient un éblouissement leur sourire en témoignait. Chaque geste, porté par une résonance particulière du tam-tam était message. Le Perceptible et l’Invisible communiaient. Des âmes vibraient dans les transes de la  « possession », portée par leur « double ». Et le tam-tam grondait, grondait. Et le tam-tam grondait, grondait, catalyseur de l’interpénétration de deux mondes, l’un vécu, l’autre imaginé.

La directrice de la cérémonie était une vieille édentée à la tête d’oiseau et aux membres grêles émergeant d’un flot de vêtements et de gris-gris superposés qui élargissaient son corps sans le priver de souplesse.

Les possédées répondaient «  présent » à l’invitation des hymnes dans la ferveur du tam-tam et l’espérance des chants conjugués avec des tremblements des transes et des convulsions.

Délices enivrants du lait, aliment premier de la vie, et boisson élue des génies, offert par l’officiante ? Scies mordantes du tam-tam incisif, rabotant tout relief de l’âme ?

Voix langoureuses des chants noyant angoisses et inquiétudes ? Les danseurs roulaient des têtes lourdes sur le sable et se perdaient dans un sommeil profond.

Ndeuk ! Ndeuk ! Ndeuk ! Entonna le chœur.

Ndeuk ! Ndeuk ! Ndeuk !répondirent les tam-tams.

Le bakk royal du seigneur des terres et mer réunies retentit.

Ndeuk ! Ndeuk ! Ndeuk !

L’immensité et la beauté du Cap-Vert à ses pieds !

Ndeuk ! Ndeuk ! Ndeuk !

Et tout Lébou authentique ! Et mère Fatim qui ouvrait les mains et souriait pleinement pour communier avec lui :

Ndeuk Daour oh !

Soubal nagnouma !

Ndeuk Daour oh !

Les teinturières m’ont honorée !

Ndeuk ! Ndeuk ! Ndeuk Daour oh !

La cadence rapide prit possession de l’assistance. Têtes et torses se balançaient dans une ivresse collective.

Que d’yeux rivés sur mère Fatim ! Ses bras battaient l’air. Le miracle aurait-il lieu ? Tiendrait-elle debout ?

Dans les ombres du visage fané de la « malade », les éclairs d’un sourire miraculeusement laissé intact par les ans, entre les lignes bleu indigo des gencives tatouées.

L’espoir palpitait dans les cœurs. Ils se gonflaient au-dessus des batteurs du tam-tam. Il était ferveur dans les gestes de prière  muette de l’officiante. Le soleil désertait le ciel pour ajouter du mystère à l’événement. Un vent doux éparpillait des odeurs grisantes d’iodée de sel. Les yeux se dilataient de curiosité.

Des transes subites secouèrent la pitoyable maigreur de mère       Fatim. Elle souriait à l’officiante qui dansait pour elle en relevant ses vêtements .L’ un après l’autre, ses pieds avançaient. Les tam-tams diminuaient d’intensité. Ousmane se revoyait envoûté  par le spectacle, en compagnie de garçonnets de son âge, juché sur le toit de la baraque paternelle. Une vieille casquette le coiffait. Le réajustement constant de son short, distendu à la taille, le gênait.

Il revoyait la foule qui se dispersait dans une bruyante débandade. Mère Fatim, sans soutien, regagnait en zigzaguant la concession des Ngom. Quelques garnements gambadaient dans la poussière cendrée du crépuscule. Mais leurs cabrioles et leurs rires cessèrent rapidement à la pensée de la contagion de l’envoûtement et surtout à la crainte  de la correction qui gâcherait leur escapade, s’ils rentraient tard.

Dans ses souvenirs, d’autres célébrations païennes. Mais la plus troublante manifestation demeurait celle des rabs religieux.  «  L’introduction des prières dans ces danses païennes était sacrilège ! » Il avait défendu son point de vue dans maintes discussions houleuses de son groupe.

Tassé sur le siège de la voiture, il méditait ce passé .Son regard se perdait dans la brume matinale, trouée de clartés, lumières d’enseignes et phares de véhicules.

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  • Ce roman retrace une grande histoire d' amour entre un jeune sénégalais et une jeune française . Confrontée aux difficultés ,saura-t-elle résister aux nombreuses pressions de la société sénégalaise?
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