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)î( UN CHANT ECARLATE )î(
13 juillet 2021

TP-2

2

TROISIEME PARTIE

2

Ouleymatou bâtissait des plans de séduction, car Ousmane, de plus en plus, occupait son cœur et ses pensées.

Un après –midi que sa mère n’était point de tour, qu’elle avait déjà retourné à Gibraltar les vêtements de Djibril Guéye, elle mit plus de temps que de coutume à se bagne.

L’une de ses sœurs, étonnée par la durée inaccoutumée du bain, la taquina :

-       Tu sors sur deux jambes et avec une seule tête. Je te croyais dédoublée, ce qui expliquerait ce temps inouï passé là-dedans à te frotter.

Ouleymatou sourit. En d’autres circonstances, elle aurait répondu par une réplique bien « salée », qui aurait remis la demi-sœur dans sa « coquille », ayant la répartie vive de toute fillette qui a grandi parmi des coépouses et des demi-sœurs.

Rompue à la pratique des dénonciations indirectes qui imprègnent les cœurs d’amertume, elle savait adapter les formules anciennes aux situations nouvelles. Rien ne l’arrêtait quand elle s’était mise en tête de démolir ou de ridiculiser l’adversaire. Ses demi-sœurs et ses belles-mères redoutaient sa langue.

On disait d’elle :

« De la personnalité. Elle se défend comme une tigresse. »

On disait encore :

« Elle n’a pas réussi à l’école. L’intelligence qui l’anime est l’intelligence du mal. Comment peut-on à la fois être reine au domicile paternel et à l’école ? »

« Une vraie diablesse… »

Mais, pour une fois Ouleymatou sourit à la taquinerie de sa sœur au lieu de s’en offusquer. Préoccupée de choses plus sérieuses qu’une escarmouche, elle lui lança avec dédain :

-       Je n’ai pas de temps à perdre auprès de toi.

en effet, elle n’avait qu’une heure devant elle-si la pendule de son père n’ était pas en retard comme à l’ accoutumée-pour trouver Ousmane Guéye à son lieu de travail.

Son frère, l’élève d’Ousmane, lui avait dit innocemment leur emploi de temps : « Tous les mardis, soir, d’une heure de cours avec M. Gueye !»

Et Ouleymatou rêvait :

«  Retrouver Ousmane à son lieu de travail ! »

Elle fit briller tout son corps à l’aide d’une vaseline parfumée. Sa peau ointe la vêtait comme un voile velouté qui se gonflait à l’emplacement des seins petits et durs, et à la cambrure des hanches pour envelopper une croupe rondelette et ferme.

L’encens montait d’un vase en argile troué et s’enroulait en volutes odorantes autour de ses jambes légèrement écartées. Elle offrait tout son corps aux caresses tièdes des nuages.

Des colliers blancs tirés d’une boite garnirent ses reins de leurs ceintures sonores. Elle choisit un pagne assez léger pour laisser deviner ses formes tout en restant décent. Elle déplia un soutien-gorge blanc spécialement acheté pour faire valoir sa poitrine.

Elle noua dans de la mousseline, de la poudre de gongo – Poudre aphrodisiaque- et glissa la boule aux effluves suaves entre ses seins.

Ayant acquis l’art de se maquiller, elle poudra son visage, redressa ses cils en appuyant leur noirceur, tira deux légers traits à l’emplacement de ses sourcils rasés. Un tube de marron à lèvres alourdit les contours de sa bouche. Sous ses aisselles et entre ses seins, le chatouillement des gouttes de Sabrina, le parfum en vogue !

Un boubou en tissu léger laissait entrevoir, dans le déplacement de ses pans, tantôt une épaule charnue, tantôt des seins dans leur prison de dentelles, tantôt les saillies des rangs de perles à ses hanches.

Ses pieds furent introduits dans des babouches rouges qui rehaussèrent leur teinte noire de henné.

Thiokéte ! Thiokéte ! Elle se déplaçait avec prudence pour ne pas soulever le sable de la rue.

Elle croisa mère Fatim, la première épouse de son père, qui la dévisagea , soupçonneuse .

Elle la calma :

-       Je reviens. Je ne ferai pas long feu !

Au carrefour, elle héla un taxi dont le conducteur, guidé par sa voix assourdie par l’émotion, la déposa au bon endroit.

Ousmane Guéye tenait un livre ouvert…

Et des échos de sa voix lui parvenaient.

Elle domina son émotion et avança le plus naturellement qu’elle put. Elle atteignit lentement la porte de la salle de classe et s’adossa au mur :

-       Je viens voir comment se débrouille mon frère, en vue de son examen.

-       Bien, bien, dit Ousmane. L’élève est sur les traces du professeur. Il est excellent.

-       Ouleymatou rit. Le halo parfumé qu’elle déplaçait taquinait les narines d’Ousmane.

Dans la cour, il remarqua tout : la peau lustrée que le soleil moirait, les dessins noirs au henné dans le propre des chaussures, le chignon de tresse sous l’envol du mouchoir de tête, les cils dressés sur le regard charmeur, la lèvre lourde, à dessein méprisante. L’encens et le gongo mêlés jaillissaient des plis de vêtements de la visiteuse. Le désir promenait le regard d’Ousmane de la poitrine bombée aux hanches rondes de la coupe rebondie aux aisselles lisses. Il devinait, jusqu’ à la bande noire qui courait le long du petit pagne blanc, jupon, collé à la chair. Ouleymatou parlait pour masquer son émotion. Elle demandait des nouvelles de Yaye Khady, de la femme blanche, du fils nouvellement né. Elle feignait de ne pas s’apercevoir du trouble de son interlocuteur.

Au fond de son être, Ousmane frémissait. Soudain, le désir fluait, brisant ses vagues contre le lien professionnel qui le maintenait prisonnier à cet instant.

Il regardait Ouleymatou. Ouleymatou le regardait. La gêne s’installa et Ousmane, le plus naturellement qu’il put, tendit sa main :

-       Je retourne là-dedans ; et il désigna sa classe.

Ouleymatou sourit :

-       C’est normal. Mais donne-moi de quoi prendre un taxi. J’ai droit à « ta sueur », frère de case d’Ousseynou

Ousmane acquiesça :

-       Vrai. Tiens ! Excuse mon oubli, j’aurais dû y penser.

-       Merci et Ouleymatou de son pas « Thiokéte ! Thiokéte ! »plein de grâce, retraversa la cour.

-       Bien loin du lycée, elle ouvrit sa paume droite. Elle y vit, réduit et froissé un bleu-Désigne dans le langage populaire le billet bleu de cinq mille francs-.

Elle le déploya, le lissa.

«   Un bleu ! Mon petit bleu, redeviens neuf »chantonna-t-elle.

Elle ironisa : « Djibril Guéye, ton fils paie largement la lessive de tes boubous …Mille francs iront à ta femme quand même…Mille francs à ma mère !»

Le reste ? Elle rêvait d’un boubou rose sur son corps noir. Ousmane Guéye verrait…S’il tenait jusqu’à sa prochaine visite prévue dans un mois, pour éloigner tout soupçon.

Et puis, elle n’était pas femme pour rien ! Elle avait perçu l’embarras d’Ousmane, et le léger tremblement de sa voix ne lui avait pas échappé. Son empressement à la quitter dénonçait son trouble.

Elle avait eu raison de croire : « Yala Yalla bey sa tol-Psalmodier le nom de Dieu ne suffit pas pour cultiver son champ/Proverbe équivalant à : Aide toi, le Ciel t’aidera- !»

Ousmane Guéye, après l’apparition gracieuse et parfumée, eut bien du mal à se concentrer sur la dissertation qu’il corrigeait.

Un tumulte intérieur distrayait son raisonnement. Il dominait mal son excitation.

Ce soir-là, il n’attendit pas Boly, le collègue et ami qu’il déposait chaque mardi à son domicile.

Dans l’appartement, sa femme s’occupait de leur enfant. Il prit le bébé et le plaça dans son berceau. Il enlaça Mireille, et dans la chair de l’épouse blanche, assouvit son désir de la Négresse.

Sa sexualité le malmenait. Le petit pagne blanc s’arrêtant à mi-cuisses, le cliquetis des ceintures de perles comptées dans le noir, l’odeur exaspérante du gongo, les volutes excitantes de l’encens, tout le sollicitait.

Ousmane Guéye rêvait …Et Mireille subissait des assauts qu’elle n’inspirait pas. Ces jeux érotiques, renouvelés, ne le détournaient pas de son obsession. Invincible, son désir de la Négresse ressurgissait pour l’exaspérer.

*

* *

Ouleymatou revint plus vite que prévue au lycée, servie par une circonstance inespérée. Son jeune frère, pour une intoxication  alimentaire, dut être hospitalisé. Son père l’envoya prévenir l’administration du lycée.

Le boubou rose produisit l’effet escompté :

-       Rose et noir ! s’exclama Ousmane Guéye. C’est ainsi que tu te pares pour annoncer la maladie de ton frère ?

Elle se défendit :

-       Moi, parée ? Mon père m’a tellement bousculée que je n’ai même pas eu le temps de me débarbouiller. Tu connais le vieux Ngom. Quand il a une idée en tête, il n’est pas de tout repos.

Et elle s’esclaffa. Son rire et ses mouvements souples sous le boubou léger faisaient entrechoquer les perles des colliers qui entouraient ses reins. L’odeur du gongo montait entre les pointes tendues des seins.

Le sang d’Ousmane piaffait. Ni son mariage ni sa connaissance philosophique ne l’isolaient, comme maillon indépendant, de la chaine forgée par l’atavisme.

Un cure-dents coincé  à la commissure des lèvres ou trottant habilement sur des gencives tatouées, des tresses auréolant l’ovale noir de ce visage, une langueur noyant des yeux immenses, des mouvements pleins de grâce, le frou-frou d’un boubou flottant ou retenu par des gestes étudiés : la séduction d’Eve opérait sa magie et disloquait sa résistance. Que pouvait une Mireille toute simple  contre la résonnance voluptueuse du cliquetis des fer-Colliers de reins- et la puissance aphrodisiaque de la poudre de gongo ? Que pouvait Mireille contre le roulement suggestif d’une croupe de Négresse dans les couleurs chaudes du pagne ?

il avait lutté  pour oublier l’attirante Ouleymatou. Il s’était distrait de son obsession en s ’ accrochant à son épouse. Mais que pouvait faire Mireille contre la loi du sang ?

Vaincu  Ousmane s’avouait vaincu. Sa vie avait été un perpétuel combat : contre la misère, pour occuper les premières places, pour s’arracher des griffes de Coumba, pour conquérir Mireille.

Lutter encore ? Recommencer ? Se défendre ? Tout son être refusait. Sa conscience debout avait la force de remporter encore d’autres victoires. Mais il ne voulait plus résister. Il voulait vivre, vivre enfin.

Ouleymatou était embarrassée. Serait-elle rageusement renvoyée comme la fois dernière ? Ou bien ?...

Ah ! Ousmane se déridait. Il acceptait l’envahissement de son amour. Il tendit sa main et emprisonna celle d’Ouleymatou. Sa main était chaude, frémissante du désir contenu. Ouleymatou vibra à ce contact. Ils se regardaient. Et c’est Ouleymatou qui desserra l’étreinte, faussement pudique.

-       J’ai à faire à la maison !

-       Pas au point de ne pouvoir cuire pour mon diner un bon couscous au poisson. Je le veux pimenter, sans trop de tomate, dit Ousmane.

Il ouvrit son portefeuille et tria.

« Un bleu encore !» pensa Ouleymatou.

-       Voilà pour la dépense. N’oublie pas d’y mettre du oba ou yaboy-poissons de mer à la chair exquise, mais truffée d’arêtes-, précisa Ousmane.

-       Je sais que tu en raffoles, dit Ouleymatou. Mais les arêtes, gare ! As-tu oublié le jour où l’un de ces os minces a pénétré dans la gorge d’Ousseynou et ne voulait plus en sortir ?

Ousmane, énigmatique :

-       Non, je n’ai rien oublié.

En effet, il n’avait rien oublié.

Victorieuse, le cœur dansant, Ouleymatou reprit le chemin des deux chaussées bruyantes

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  • Ce roman retrace une grande histoire d' amour entre un jeune sénégalais et une jeune française . Confrontée aux difficultés ,saura-t-elle résister aux nombreuses pressions de la société sénégalaise?
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