Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
)î( UN CHANT ECARLATE )î(
12 juillet 2021

TP-1

1

TROISIEME PARTIE

1

Ousseynou s’était plaint un jour devant Mireille :

-       C’est moi qui viens toujours. Ce n’est pas parce que je suis célibataire que je dois être le seul à me déplacer. Deux pieds supportent l’amitié. Un pied unique ne résiste pas longtemps. Et il éclata de son rire franc, perlé.

Mireille avait appuyé la doléance :

-       Ousseynou a raison, il faut aller chez lui.

 Et Ousmane promit de passer à son ancien quartier.

Le lendemain, au volant de la 504 neuve, Ousmane atteignit Usine Niari-Talli. Les mêmes relents crépusculaires nauséabonds offusquèrent ses narines, comme autrefois. En cette fin de journée, les bouches d’égout, saturées d’eaux sales versées des bassines et des seaux, puaient. Ousmane toussota. Il descendit, étouffant l’envie de vomir qui soulevait son cœur.

Il descendit, souriant tout de même, et serra les mains de ceux qui, e reconnaissant, les avaient tendues. Des enfants se ruaient vers lui. Les anciennes voisines de sa mère l’entouraient et lui souhaitaient la bienvenue :

-       Guéye ! Guéye ! Paix seulement ! Guéye !

Il se libéra enfin de l’affectueuse curiosité et pénétra dans la concession des Ngom, après avoir jeté un long coup d’œil ému sur la baraque de son enfance.

Le père d’Ousseynou le félicita. Ses femmes le saluèrent chaleureusement. Les billets de banque qu’il avait apportés en prévision de cette visite firent le tour du cercle animé. On remerciait, on flattait, on priait pour le bon fils devenu l’adulte comblé :

-       On était sûr que Dieu te « décorerait », toi qui as été toujours attentif aux besoins de ta mère.

Et le balancement de l’index droit soulignait le propos.

Ousmane souriait. Le bonheur qu’il distribuait lui fit oublier un instant l’odeur du poisson sec tandis qu’il constatait intérieurement :

-       J’ai bien fait de renouer le contact ! C’est mon retour aux sources.

Ousseynou voulut le recevoir dans la pièce qu’il avait fait construire pour rassembler tous les garçons de la concession.

Mais le vieux Ngom invita Ousmane dans sa chambre où ne pénétraient que les hôtes de marque. Au milieu, trônait un vaste lit.

Le portemanteau croulait sous le poids des vêtements. Dans un coin, des peaux de moutons superposées attestaient de la haute piété du chef de famille, autant que le tas de chapelets et les lots de livres coraniques.

Ouleymatou servit à boire. L’on rappela le passé, les batailles rangées dans la rue, les tornades sous lesquelles l’on dansait, à la recherche de l’automobiliste malchanceux, que l’on aidait à faire redémarrer sa voiture, moyennant piécettes.

Et les séances de lutte ! On rappelait les petits hommes à la croupe enserrée dans des pagnes et aux jambes lestes, ointes d’huile. Pour impressionner l’adversaire, on s’entourait la tête de cordelettes et de gris-gris. On se couvrait le visage de signes cabalistiques, tracés à la farine et au charbon.

Comme à chaque événement, le tam-tam ! Les fillettes stimulaient les courages en chantant des chœurs. Et l’on nouait des courages. L’on dénouait des étreintes. Les jambes s’enlaçaient. Le plus fort ou le plus habile terrassait son adversaire. Pendant que le vaincu était étalé sur le sol, le vainqueur, avec fierté, se dirigeait vers les batteurs, sous les applaudissements. Il levait haut ses bras. Le brouhaha s’enrichissait des discussions partisanes.

Le quartier s’était défoulé à peu de frais et supportait mieux sa vie difficile, au milieu des privations, de la poussière et du bruit.

Ousmane riait à ces évocations. L’on rappela sa défaite face à Ousseynou, mai sa victoire aussi face à Seydou Niang.

Un peu songeur, il se remit au volant de la 504. L’image d’Ouleymatou trottait dans sa tête. Il l’avait revue. Par les copains, Ousmane avait appris, non sans pincements de jalousie, son mariage forcé avec un cousin âgé, propriétaire d’une flottille de pêche moderne à Ouakam. A gorge déployée, les uns et les autres s’étaient moquées du vieux mari qui portait toujours au visage les marques des coups de griffes par lequel la jeune femme se refusait. Quelques mois plus tard, avec un soulagement inconscient, il avait appris son retour sous le toit paternel. Le divorce d’Ouleymatou avait suscité des discussions passionnées au sein du groupe, les uns stigmatisaient le mariage forcé, les autres louant la raison et la sagesse, dans l’orientation de la vie.

-       Sans le sel de la passion. mais viable ! Le mariage forcé est viable.

Cette parenthèse bruyante dans la vie d’Ouleymatou n’avait pas entamé sa beauté. Ousmane chassa l’image souriante en invoquant la blondeur de sa femme et le pétillement vert de ses yeux.

*

* *

Ouleymatou, elle aussi, avait revu Ousmane. Elle s’était rendu compte du « vrai» des propos qu’avait tenus Ousseynou, qui l’avait décrit plus épanoui que jamais. Et riche ! La voiture étincelante en témoignait. Cette visite, rendit définitivement le revirement d’Ouleymatou, amorcé depuis les premiers succès scolaires d’Ousmane et découragé par l’indifférence du jeune homme. Ousmane avait bien réussi, alors qu’elle végétait, mal nourrie, mal logée, se contentant, pour se vêtir, des cadeaux rares de sa mère.

« Ousmane est devenu un homme véritable », se disait-elle avec d’amers regrets.

La femme tubaab dont l’existence lui était connue ne l’arrêta pas. Même l’enfant, né quelques mois plus tôt, dont le baptême avait alimenté les commérages, ne suscita pas d’hésitation. Ouleymatou était ambitieuse et amoureuse. La difficulté décuplait son ardeur. Elle réfléchissait au moyen de « renouer »avec Ousmane.

« On verra bien !»

Elle commença par renvoyer avec fermeté ses nombreux prétendants qu’elle méprisait, les jugeant incapables de lui procurer l’aisance popularisée par les films. Elle appréciait à l’écran les beaux meubles, les voitures, les céramiques des salles de bains, les robes froufroutantes.

-       Que peut pour moi Samba le boucher, debout du matin au soir devant un étalage qui vaut moins de cinq mille francs ,ou Diawara le conducteur de car rapide traumatisé par les exigences financières de son employeur ?

SEUL Ousmane ! Elle se tordait de regrets. Comme elle avait été idiote ! Réaction de petite fille ! Mais la petite fille s’était formée au contact des adultes expérimentés, enregistrant les roueries évoquées dans de grands éclats de rire.

Les commentaires ironiques du baptême de l’enfant métis disaient clairement la déception de Yaye KHADY.

«  Un baptême sans foot-Littéralement lavage. Echange de dons lors d’un baptême entre les familles des parents - Pauvre Yaye Khady. Cette tubaab est son cat- Infortune qui ne manque pas dans chaque vie-.»

L’amorce de la manœuvre s’annonçait aisée à Ouleymatou qui recensait ses atouts. Le partage ne le rebutait pas. Le partage de l’homme était le lot des femmes de son entourage et l’idée de « trouver »un homme, un homme pour elle seule, ne l’effleurait même pas.

Elle avait de l’éducation et son miroir chantait ses charmes. Elle méritait à tous égards d’être la femme d’un « patron », conduit-elle.

Un jour, comme par hasard, elle pénétra dans le logement de Yaye Khady :

-       J’étais venue voir une amie ici. J’ai pensé à toi et te salue

Elle ajouta, perfide, à l’intention de Yaye Khady occupée à repasser, qui lui demandait de s’asseoir dans le salon :

-       Comment ? Tu repasses ? A ton âge ? Et ta bru ? Ne peut-elle pas faire cette corvée à ta place, si les bonnes repassent mal le tissu amidonné ?          

Yaye Khady s’esclaffa :

-       Ma bru ? Ta mère ne t’a pas raconté ? Mais elle est blanche ! Et pour une blanche, le mari seul compte. Alors je repasse. Ton père Djibril Guéye est toujours difficile pour ses boubous. Heureusement qu’il ne les porte pas souvent !

Ouleymatou se dévêtit aussitôt et suspendit son boubou à l’un des fils de la cour. Elle remonta son pagne jusqu’ à sa poitrine et, sans mot dire , prit le fer de la main de Yaye Khady.

Elle repassait en chantant : de ses mains les vêtements sortaient éclatants. Elle les entassait, pliés, sur une chaise au soleil.

Avant midi, la bassine de linge était vidée de son contenu. Yaye Khady n’en croyait pas ses yeux de la voir si vite et si bien, mieux qu’elle-même !

Yaye Khady la remercia en lui remettant le prix du transport, mais Ouleymatou protesta énergiquement :

-       De toi à moi, Yaye Khady ! Non, tu es ma mère. Tu as des droits sur moi. Si je n’ai rien à te donner, je peux « suer» quand même pour toi. Je n’ai rien à te donner, je peux « suer » quand même pour la cuisine quand ma mère est de tour- Moment où l’une des épouses à la responsabilité de la concession qui s’accompagne de la présence du mari dans sa chambre ou de sa présence dans la chambre du mari- et c’est deux sur huit. Je passerai régulièrement prendre les boubous de père Djibril. Je les laverai à ta place de bon cœur.

 

Elle partit sans avoir nommé Ousmane qui, pourtant, emplissait sa pensée et soutenait son ardeur au repassage.

Et tous les quinze jours, Ouleymatou allait ramasser les boubous de père Djibril Guéye. Elle s’arrangeait pour trouver Yaye Khady seule .Elle n’emportait pas le morceau de savon que celle-ci glissait entre les boubous. Elle s’éloignait rapidement quand Yaye Khady lui tendait le prix du charbon et du transport des vêtements.

Elle était heureuse d’aider. Amoureuse, elle se sentait de taille à laver le linge de toute la maison. Mais prudente, elle se contentait des vêtements de Djibril Guéye qui n’en finissait pas de la bénir :

-       Que Dieu te retourne en bonheur ta fatigue, mon enfant !

Ouleymatou répondait intérieurement :

-       Le véritable amour est don de soi à l’aimée, mais également, il est don de soi aux parents et amis de l’aimé.

Sa mère l’encourageait :

-       Yaye Khady …une femme exceptionnelle …pleine de sutura…Elle mérite ta sueur.

-       En effet Yaye Khady était « pleine de sutura», elle qui souvent avait prêté discrètement de l’argent pour « arrondir la dépense» de la concession, quand certains tours coïncidaient avec le « creux» du mois qui obligeait les clientes à emprunter les condiments au lieu de les payer…Elle se rappelait les dettes impayées que Yaye Khady ne réclamait toujours pas…

Elle insistait :

-Yaye Khady mérite ta sueur…Elle est compréhensive, pleine de sutura.

Les conseils de la mère renforçaient le dévouement de la fille.

Ouleymatou lavait et repassait. Elle voulait Ousmane et pas le biais de Yaye Khady , à sa manière , se frayait un chemin pour le récupérer.

Publicité
Publicité
Commentaires
Visiteurs
Depuis la création 570
Publicité
)î( UN CHANT ECARLATE )î(
)î( UN CHANT ECARLATE )î(
  • Ce roman retrace une grande histoire d' amour entre un jeune sénégalais et une jeune française . Confrontée aux difficultés ,saura-t-elle résister aux nombreuses pressions de la société sénégalaise?
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Newsletter
Publicité