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)î( UN CHANT ECARLATE )î(
7 juillet 2021

DP-7

7

Deuxième partie

7

Un jour, Mireille se plaignit tout haut, en rentrant de ses courses :

-       Cette nuit encore je ne vais pas dormir.

-       Et pourquoi ? s’enquit Ousmane, perplexe. Malade ?

-       Dieu merci ? je suis bien portante. Mais en revenant du marché, j’ ai vu installer des bancs, des tentes , tout le prélude d’ une manifestation nocturne , sur la place.

-       Bouche-toi les oreilles. Moi au contraire, je vais revivre les nuits de mon enfance.

Encore un motif de discorde ! Mireille pouvait apprécier certes la musique africaine. Mais le tam-tam nocturne ! Il martelait ses tempes et exaspérait ses nerfs. En la privant de repos, il la déséquilibrait. Et la perspective des « copains» dans son salon, en plus du tonnerre du tam-tam dans sa tête et le lendemain la visite de Yaye Khady, c’était plus qu’elle ne pouvait supporter.

-       Autant nous voyions les choses avec les mêmes yeux avant notre mariage, autant maintenant nous sommes opposés, on dirait ! cria-t-elle.

Ousmane la regarda :

-       Je vis ma vérité. J’aime le tam-tam. Tu aimes bien Mozart ; même la nuit tu peux l’écouter. Supporte que j’aime le tam-tam. Tu ne peux pas comprendre. Le tam-tam, c’est la vie du Négre éclatant en gerbes de sons : les rythmes des semailles, des moissons, des pluies, des baptêmes, des prières ; et même parfois des rythmes de la mort. Le tam-tam marque les étapes de notre vie. Je me revois, enfant, dans mon boubou de njuli-Circoncis-rectangle de tissu ample cousu aux côtés, avec au centre une échancrure pour passer la tête. Un bonnet pointu, du même tissu que l’habit, s’attachait sous le menton. Je portais au cou des gris-gris blancs pour détourner les regards des yeux de la nuit-Sorciers- Deux cauris pendaient à mon front, pour ma protection. Nous étions dix garçonnets du même âge, dansant le soir autour d’un feu dont les flammes nourries par le bois que nous glanions le jour éclairaient le spectacle. Montaient, dans la nuit, au son du tam-tam, les airs de kasak-Chants initiatiques des circoncis-…Nous faisions l’apprentissage de la virilité et du courage. Le tam-tam compensait les sévices de toutes sortes que nous subissions et qui nous aguerrissaient…

A ce point de son évocation, Ousmane se retourna. Il désirait communiquer l’émotion de son souvenir à sa femme. La chanson du crapaud ndoti ndoti samamou lin lin montait de tréfonds de son être à ses lèvres. Mais Mireille, depuis longtemps, avait disparu dans la cuisine.

Mireille ne le suivrait donc jamais. Amer, il mesurait l’incompréhension qui les séparait : un océan. Plongé au cœur de sa race, il vivait, accordé aux valeurs négres et au tam-tam vibrant. Sa nature, passionnément, se chargeait de l’héritage culturel drainé par son passé :

-       Les contes, Il savait les décortiquer pour extirper de leurs péripéties comiques ou dramatiques les leçons de civisme qu’ils recèlent ou illustrent.

-       Les proverbes ? Ciselés dans la réflexion, l’observation et l’expérience ! Leur formule concise, faite de sagesse, puisait aux sources de la vie.

-       Les légendes ? Expression d’une imagination créatrice ! Magnifiant la réalité, elles fortifient les peuples en célébrant des vertus. Tant d’épopées restent vivaces dans les mémoires pour la survie de l’histoire, grâce à la légende !

Comment faire partager ces vérités – là à sa femme, si elle refusait l’émotion la plus accessible, la musique ?

La musique africaine ! Qu’ elle naisse subtilement de cordes tendues des koras, à peine effleurées par les doigts initiés , qu’ elle naisse des goro, des Tama, des sabar, ou des ndend-Instruments de musique- , qu’ elle s’ envole, allègre, du balafon ou qu’ elle s’ égrène des balancements d’ une clochette !...

La musique africaine ! Qu’elle éclate par la voix puissante de la griotte aux oreilles protégées par ses paumes ou qu’elle rugisse de la gorge du diali-Griot- inspiré, devant un auditoire attentif ! La musique africaine est universellement appréciée. On ne peut la dissocier de son support naturel, le tam-tam.

Et Ousmane s’indignait.

-       La race noire n’est pas une race nue ! Les Négres lui ont taillé obstinément, avec leur âme et leur cœur, des vêtements prestigieux. Les griots transmettent nos titres de noblesse !

Il hurlait presque :

-       Comme le Négre sait donner, et se donner jusqu’ à la limite extrême, même si sa générosité emporte la dernière goutte de son sang ou le dernier centime de son budget !

Kersa-Pudeur-, sutura-Une autre forme de pudeur qui ne livre que les bons côtés d’autrui et de soi-, ngor-Dignité, honneur- ! Des qualités qui ont dans la traversée pénible des mers furieuses, les pieds enchainés, sous les cravaches humiliantes. Les mêmes qualités ont conduit à la renaissance culturelle du continent et aux retrouvailles de frères séparés. Nos qualités ont aidé le redressement spectaculaire d’aujourd’hui.

Il concluait :

-       Des savants noirs démontrent les étroites relations culturelles et linguistiques des Bantous et des Egyptiens !

Ses envolées n’ébranlaient nullement son épouse qui enfin avait daigné quitter ses fourneaux. Ainsi, l’abîme qui les séparait se creusait davantage. Le sentiment, réduit aux dimensions des sens, ne comble personne. Chacun vivait replié sur lui-même.

Les méthodes de Mireille, son organisation, ses clivages qui classaient et déclassaient l’agaçaient. Certaines sphères de réflexions les faisaient encore communier, mais de multiples interrogations sollicitaient Ousmane et lui réclamaient des solutions urgentes, difficiles à formuler

Il se surprenait à souhaiter :

-       Ah ! Trouver un écho à ma voix ! Trouver l’âme sœur, tourmentée par la même soif ! Trouver la compagne prête à faire le même voyage fantastique, et réceptive  au cri même de l’hyène, bergère comblée par les mille étoiles du ciel !

Il avait été loin dans la culture de sa femme qui avait, derrière elle, un passé émaillé de splendeurs dans tous les domaines, qu’il comprenait et acceptait.

Pourquoi sa femme ne consentait-elle point à aller à sa rencontre ? Ses vérités à l’emporte-pièce le bousculaient. Etaient-ce trop demander à une épouse que de se pencher avec sagacité sur l’être qui s’appuie sur elle ? Peut-on faire changer à un être, du jour au lendemain, de mentalité et d’ habitude et de genre de vie ?

L’indifférence DE Mireille empirait. Elle restait égale à elle-même, ouvrant le même œil indigné sur des comportements qu’elle qualifiait « manque de savoir-vivre», selon les circonstances.

*

* *

Des conflits encore. Des conflits toujours ! Ousmane Guéye avait eu une grippe persistante. Yaye Khady crut arrivés les derniers jours de son fils.

-       Le cat. Le mauvais œil ! La maladie qui résiste à la piqure et au comprimé est du domaine des charlatans !

Et elle les consultait les charlatans ! Elle courait de son foyer à l’appartement, apportant une poudre mise à grésiller dans un encensoir, qui empestait l’atmosphère, tantôt du safara, liquide douteux dont elle aspergeait Ousmane en noircissant couverture et draps, tantôt une amulette qu’elle lui suspendait au cou, aux reins ou aux membres, selon les directives du guérisseur.

Mireille ne pouvait concevoir cette agression quotidienne de son intimité. Yaye Khady avait osé même suspendre une corne à la porte de sa chambre à coucher. Et Djibril Guéye l’épaulait en s’installant dés l’aube dans l’appartement, pour réciter des versets protecteurs.

Mireille supportait ces violations de son domicile, par peur de rendre plus critique l’état de son mari.

Enfin ! Ousmane Guéye triomphait lentement de son mal. Le médecin consultait parallèlement était venu à bout de la forte fièvre et du délire, interprétés par Yaye Khady comme l’emprise des sorciers.

Le manque d’appétit et les vomissements avaient eu aussi un sens pour Yaye Khady : les sorciers avaient rempli de pierres le ventre d’Ousmane.

Yaye Khady restait de moins en moins à Gibraltar, même quand son fils eut repris le chemin du lycée. Elle s’appropriait le rétablissement de la santé d’Ousmane. Elle venait, chaque jour, admirer les forces renaissantes de son enfant. Elle venait chaque jour et la valse des flacons et des mixtures continuaient.

Mireille, excédée, lui intima de rester chez elle.

-       Ousmane est guéri. Seule, je peux assurer sa convalescence, bien l’alimenter et le surveiller.

Yaye Khady bondit :

-       Tu crois suffisants pour remonter un homme, tes tranches de bifteck, une pomme, un yaourt ? Ousmane a besoin de récupérer. C’est avec le plat de foufou-Plat à base de gombo et d’huile de palme qu’il réhabilitera son estomac et ses intestins à la digestion. C’est avec la soupe de yell-Pied de bœuf- qu’il reprendra vigueur. Je viendrai tous les jours lui apporter ce qu’il faut. Ne t’en déplaise !

A Mireille interloquée, le boy traduisit ce discours.

Elle décida qu’ « Ousmane devrait trancher le débat» !

Mais Ousmane fut accueilli par Yaye Khady larmoyante qui s’expliqua, dans de longs hoquets et des reniflements :

-       Ta femme me chasse. Elle me dit de ne plus venir ici.

Mireille se défendit :

-       J’ ai supporté ces odeurs nauséabondes . J’ai supporte cette corne qui pend , mes draps noircis. Maintenant que tu es guéri, je demande le respect de mon intimité. Yaye ne veut pas comprendre que chez elle, ce n’est pas ici !

A la stupeur de sa femme, Ousmane prit parti pour sa mère, et résuma son discours brutalement ;

-       Si tu ne peux tolérer Yaye Khady , pars…

Mireille était sans souffle, sans voix. Le sang affluait à son cerveau. Quelque chose enserrait sa gorge, hachait sa respiration , la retranchait lentement mais surement du monde extérieur. Elle s’évanouit.

Le cri de Yaye Khady apeurée alerta les deux « G». Ils transportèrent Mirelle dans la chambre à coucher. Guillaume lui fouetta les joues , Geneviève badigeonna son front d’ eau de Cologne.

Mireille émergeait d’un cauchemar. De longues larmes mouillaient ses joues. Ousmane Guéye la regardait sans un geste tendre, pour éviter de vexer sa mère . Yaye Khady s’enfuit. Mais, par sa faute encore, « quelque chose», indéfinissable mais essentiel, désertait les rapports du couple.

 

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  • Ce roman retrace une grande histoire d' amour entre un jeune sénégalais et une jeune française . Confrontée aux difficultés ,saura-t-elle résister aux nombreuses pressions de la société sénégalaise?
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