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)î( UN CHANT ECARLATE )î(
2 juillet 2021

DP-6

6

DEUXIEME PARTIE

6

Sur le même palier de l’immeuble où vivaient Ousmane et Mireille, logeait un couple d’Européens de leur âge.

L’homme ne pouvait dépasser Mireille sans tiquer. Geneviève, son épouse, petite, brune, rondelette, descendue de la province, n’avait ni la beauté, ni la finesse, ni les manières séduisantes de Mireille. Sa porte refermait, il éclatait :

-       Te rends –tu compte ? Cette belle fleur de chez nous entre les mains de ce rustre. Ce Négre peut-il apprécier  ce qu’elle est, ce qu’elle apporte, cette chevelure, ces yeux, ces manières princières ? J’en crève !

Geneviève le calmait.

-       Elle n’est ni ta sœur ni ta parente. Chacun vit son choix. Pourquoi te tourmenter si elle se trouve bien là où elle est ?

-       Son mari est toujours absent. Il se comporte en maître. Elle est toujours seule. Je surprends parfois dans son regard une tristesse immense. J’ai l’ impression que rien ne va.

-       Ton impression est fausse. Pourquoi serait-elle malheureuse ? Son mari l’adore. Ils sont liés depuis longtemps. Elle m’a raconté leur histoire qui est une longue histoire d’amour et de fidélité. Ousmane est allé la chercher au pays . Tu brodes. Et si tu ne cesses pas de l’épier, c’est moi qui taperai sur la table. Elle t’intéresse plus que ta femme , en vérité.

-       Guillaume ravalait ses mots. Mais il était hanté par la « Belle et la Bête », surnom qu’ il avait donné au couple mixte. Il ‘ aimait certes pas Mireille, mais les couples mixtes le hérissaient. Cependant, il entretenait de bonnes relations avec ses collègues Négres hommes et femmes, dont il appréciait l’amitié et l’hospitalité.

-       Le couple avait partagé avec « la Belle et la Bête » le riz au poisson cuisiné par Soukeyna. Il avait ri avec eux des coquilles qui émaillaient les copies des lycéens.

Ousmane Guéye, curieux, avait demandé à Guillaume :

-       Comment juges-tu tes élèves ? Sont-ils d’un niveau plus bas que ceux d’avant ?

Il avait répondu, sincère :

-       Ni plus bêtes ni plus intelligents. Mais plus travailleurs ici. Chez nous, pour ne pas « frustrer», pour ne pas « brimer », que sais-je toutes ces inventions pour adoucir le sort de l’élève et embêter l’éducateur rendent paresseux les gosses. Le moindre effort !

Ousmane Guéye prévenait :

-       Nous sommes tous de la génération de Mai68. Nos motivations étaient différentes, mais nous étions portés par le même rêve de bouleverser et de réformer. Chers collègues, aujourd’hui que vous êtes dans le camp des « croulants», que pensez-vous de l’attitude des étudiants ?

Guillaume, avec son accent méridional chantant, acceptait le défi. il se grattait la tête, prenait sa femme comme appui et témoignait :

-       Quand on est jeune, on est parfois irresponsable. Ma mère dit souvent : la jeunesse est encore prés des anges, dans le monde merveilleux du ciel qu’elle veut transporter sur la terre. Alors… A cet âge, on idéalise tout. A cet âge, aussi, la critique est aisée. Je trouve nécessaire à présent tout ce que je piétinais : lois, discipline, rigueur, travail, etc. Rien ne dure sans pilier. Une construction sans fondation ne tient pas. Un pays sans gouvernement rigides’ effondre. On ne peut satisfaire au même moment tous les appétits. Chaque classe sociale a ses priorités et ses exigences. L’autorité politique a, elle aussi ses priorités et ses exigences. Elle est limitée dans son action. Guide, elle ne saurait naviguer là où la noyade la guette.

Geneviève l’approuvait :

-       Je suis payée de toutes les mauvaises farces que ‘ ai faites à mes professeurs. Une classe pleine de chahut ne progresse pas. l’enseignement qu’on y prodigue ne peut avoir d’échos profonds. J’admire, aujourd’hui que je suis sur la sellette, la maitrise de nerfs de mes anciens maitres. J’apprécie leur volonté qui les maintenait à la taâche, dans les tumultes organisés.

Ousmane acquiesçait :

-       Je pense comme vous. Je fus parmi les éléments les plus durs de Mai 68. En tant qu’étudiants, nous avions exagéré. Le temps, avec le recul, permet d’apprécier, sans passion. Nous avions choisi des modèles de société où nous croyions la vie plus facile et meilleure, parce que mieux ordonnancée. Ces modèles s’avèrent aujourd’hui pleins d’ombres. La liberté y apparait souvent étranglée, livrée au compte-gouttes au fonctionnement uniforme. On y danse, certes. Mais du même pas. Personne n’a le droit de choisis son rythme.

Mireille ironisa :

-       Chez les autres, il fait bon vivre, on n’entend que chants et rires. Mais chez moi, tout est triste et désolé.

Ousmane enchaina :

-       Finalement les régimes se valent.

Bonnet blanc, blanc bonnet.

Et après une pause, il livra, pensif :

-       Heureux, ceux qui peuvent encore, comme au Sénégal, dire tout haut ce qu’ils pensent sans être enchainés.

Mireille apprenait à Geneviève à préparer le thé « à la mauresque », avec les petits verres et barada-Petite théière en métal-en nickel brillant.

Le liquide jaune, légèrement sucré, aromatisé à la menthe nana- Feuilles odoriférantes (menthe poivrée)-, aide à la digestion.

Geneviève et Guillaume, les deux « G» comme les surnommaient Ousmane et Mireille, remerciaient et regagnaient leur appartement.

Geneviève insistait pour rendre aux Guéye leurs politesses.

-       Une invitation mérite d’être rendue. Une gentillesse aussi.

Mais Guillaume ne pouvait concevoir la présence de la Belle et de la Bête à sa table.

-       Je peux les supporter chez eux. Mais ici, dans mon cadre, tu n’y penses pas.

Et il continuait d’épier. Diaboliquement. Son instinct lui criait, par le regard embué de cette femme, que tout n’allait pas bien chez la Belle et la Bête. 

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  • Ce roman retrace une grande histoire d' amour entre un jeune sénégalais et une jeune française . Confrontée aux difficultés ,saura-t-elle résister aux nombreuses pressions de la société sénégalaise?
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