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)î( UN CHANT ECARLATE )î(
29 juin 2021

DP-3

3

DEUXIEME PARTIE

3

Bien avant les Guéye, la famille de Mireille avait reçu sa lettre. Mireille en avait choisi judicieusement la chute : le lieu de travail de son père.

Le grand bureau de M.de La Vallée compulsait des dossiers avait un air de fête ce matin d’été.

La veste avait quitté les larges épaules à cause de la température M.de La Vallée vit dans son courrier deux lettres postées à la même date à Paris .L’ une trahissait l’écriture de Mireille, partie en vacances depuis un mois.

Intrigué, il l’ouvrit ; Mireille révélait :

Chers parents,

Quand vous recevrez cette lettre postée la veille de mon départ , je serai déjà loin de vous , évoluant dans ma nouvelle famille sénégalaise.

Majeure et responsable, j’ai épousé, à l’état civil, puis à la mosquée de notre ville, après avoir embrassé la religion islamique, Ousmane Guéye, professeur de philosophie.

M. de La Vallée  relut ces quelques lignes pour s’assurer qu’il ne rêvait point. Il répéta incrédule : « mosquée», « religion islamique», « majeure et responsable». Les phrases se transformaient en poignards aigus qui fouillaient son cœur. Il répétait : « majeure», « responsable», « religion islamique», « mosquée», « Ousmane Guéye». Il posa la lettre sur son sous-main et après s’être assuré –réflexe habituel- que personne n’assistait à son effrontément, il baissa la tête. Lui, si vigoureux, si prompt à la riposte, se refugiait dans cette attitude de vaincu. Que pouvait-il d’ ailleurs contre Mireille, « majeure et mariée » ? Mireille inaccessible et libre, le narguait :

Son nom reste attaché à la petite photographie qui m’avait valu le rapatriement.

Notre amour a survécu à l’éloignement et au temps.

Le poignard, las de s’enfoncer, tranchait maintenant. Il porta ses deux mains à l’emplacement douloureux de sa poitrine, là où les mots démentiels semblaient s’entrechoquer. Des minutes épouvantables où sa respiration s’étranglait ; il ferma les yeux et attendit. L’asphyxiant piétinement des mots se raréfia. Il respirait mieux.

Il ressaisit la lettre. Son martyre renouait avec le délire de la parole satanique de son enfant :

Ousmane Guéye est venu jusqu’ici pour m’épouser. Je l’ai dissuadé de vous rencontrer pour le préserver de l’humiliation que vous lui auriez infligée. Pour vous, on peut fraterniser avec le Négre mais on ne l’épouse pas.

Il répéta : « Bien sûr qu’on peut fraterniser avec le Négre mais on ne l’ épouse pas .»

Le hantait le souvenir des Négres qu’il avait jadis eus à son service comme gens de maison « Bornés, affreux, avec leurs rires gras, leurs gros yeux blancs dans leur visage hébété !»

Ceux avec qui il avait discuté au cours de ses missions diplomatique ? « Plus ridicules dans leurs attitudes empruntées et leur essoufflement pour rattraper des générations de civilisation !» « Etres primaires ! Comportement primaire !» Et sa fille, d’atterrir dans ces mains frustes. Quel gâchis !

Il lut d’un trait les lignes finales :

Vous m’avez aimée à votre maniéré et je sais ce que je représente pour vous. L’immensité de votre douleur m’accable. Mais on n’échappe pas à son destin. Je ne peux renoncer à celui que j’ai, parceque simplement il est noir.

Je tourne le dos à un passé protégé pour embrasser l’inconnu. Je le sais, je renonce à l’aisance pour l’aventure. Je le sais encore. Je me dis que le bonheur ne se donne pas. On le mérite. On le construit.

Prévenez mes grands-parents

Si vous me pardonnez, écrivez –moi à l’adresse de l’en tête de ce pli. Si non, adieu et affection. Mes yeux sont pleins de larmes et Ousmane partage mon émotion.

Mireille

Mireille demandait pardon. Elle osait parler de tendresse, de renoncement, de vertus humanitaires. Mais la colère, hermétiquement, emmurait la raison et le cœur de son père. La vérité de M.de La Vallée, prisonnière dans la rigidité de raisonnement caduc, n’admettait pas de contrariété. Inaccessible à l’ère des nouvelles grandeurs, elle prenait ses distances avec les « insanités » de la lettre.

Jean de La Vallée était abasourdi. Cloué à son siège, il étouffait, les sueurs au front. Le pli était retenu avec force par ses deux mains, comme s’il était une bombe qui, en touchant le sol, allait éclater. Jean de La Vallée n’acceptait pas la « trahison ».

-       Ah quelle hardiesse ! Comment a – t elle pu faire fi du nom qu’elle porte ?

Mireille avait bien choisi le point de chute de sa lettre : un lieu qui exigeait de la tenue, qui n’admettait pas l’extériorisation des sentiments, un lieu de protocole raffiné où le déchaînement des passions n’était pas admis.

Il grommelait :

-       Ah l’effrontée ! Quelle chance ! Effrontée jusqu’à s’orienter cette lettre en plein service !

Ayant enfin posé le pli sur la table, il se glissa à nouveau dans sa veste.

Un froid subit glaçait sa poitrine et ses membres. Il sortit. Surpris, le chauffeur le vit héler un taxi et s’y engouffrer.

En compagnie de sa bonne espagnole, Mme de La Vallée vaquait, dans la cuisine, à la préparation d’une paella, plat de prédilection de son mari.

La sonnerie, malmenée rageusement, la fit e précipiter. Sans se débarrasser de son tablier, elle ouvrit la porte, et, reconnaissant son époux, lui dit, en regardant ses fourneaux :

-       Mais tu arrives tôt !

Elle enchaina :

-       Chéri, une surprise. De la paella pour le déjeuner ! et attentive à la moindre contrariété de son époux, elle s’inquiéta :

-       Un dossier oublié ?

M de La Vallée tempêta :

-       La paella restera dans les casseroles. Un événement ! Une monstruosité. Mireille a épousé son Négre. Voici la lettre.

Et se souvenant brusquement de l’autre pli, il ajouta :

-       Il ya même deux lettres. J’ai ouvert celle de Mireille, l’autre est restée sur mon bureau. Surement du mari. A la poubelle ! A la poubelle § Mais lis d’ abord.

M de La Vallée hésitait… Elle se souvenait en saisissant la lettre. Son mari l’avait distinguée parmi plusieurs jeunes filles lors d’un bal. Il était le premier homme qui lui tenait la main en lui parlant d’amour. Élevée dans une institution religieuse pour filles de familles, elle avait appris, entre autres principes, à obéir.

Jean je La Vallée, au caractère dur, avait vu sans doute le tremblement de ses lèvres et perçu la peur dans son regard. Ses instincts de dompteur pressentaient une proie malléable en cette jeune fille effarouchée qui rougissait sans cesse.

Mathilde de La Vallée hésitait … et se souvenait. Les problèmes de libération de la femme qu’on inventoriait devant elle la lassait indifférente. Dans sa vie , son mari seul comptait . Elle le choyait, lui obéissait et allait au devant de ses moindres désirs. Elle lisait enfin…Mère, elle vivait en cet instant le désespoir de son enfant acculé à ce choix extrémiste. Elle vivait, à travers les lignes, l’atroce dilemme. Le déchirement de l’option la bouleversait. La sincérité du cri lointain de sa fille l’émouvait. Elle pardonnait. Elle ouvrait les bras pour bercer son enfant. a l’automne de sa vie, l’instinct maternel renaissait. Devrait-elle renoncer à être grand-mère ?...

Mais Jean de La Vallée était planté devant elle, inflexible dans son honneur atteint et sa dignité bafouée. Sa colère se manifestait dans des exclamations sonores : « La traitresse ! La saleté !» qui signifiait clairement à sa femme la rupture. Alors , elle aussi , par habitude-trente années où elle n’ avait eu aucune pensée propre, aucune initiative, aucune révolte, trente années où elle n’ avait fait que marcher là où on la poussait , trente années ou acquiescer et applaudir avaient été ses lots -, alors , par habitude plus que par conviction , elle répéta , les larmes aux yeux , des sanglots dans la voix :

-       La traitresse ! L a saleté ! avant de tomber évanouie.

En ouvrant les yeux, elle eut l’incommensurable douleur de se sentir la plus solitaire des femmes. Sa fille s’était enfoncée dans la nuit. Elle était sûre de ne plus jamais la revoir. Le deuil l’envahissait. Il ne lui restait plus que son mari , homme de pierre à servir , satisfaire , et applaudir jusqu’à  l’ éclatement de son cœur .

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  • Ce roman retrace une grande histoire d' amour entre un jeune sénégalais et une jeune française . Confrontée aux difficultés ,saura-t-elle résister aux nombreuses pressions de la société sénégalaise?
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