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)î( UN CHANT ECARLATE )î(
25 juin 2021

DP-2

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DEUXIEME PARTIE

2

Yaye Khady se tournait et se retournait dans son lit. Toutes les nuits, depuis qu’elle savait son « Ousmane marié à cette blanche», le sommeil la fuyait. Des soupirs, chargés de désespoir, lui échappaient.

Le jour, pour ne pas penser, elle fatiguait son corps par les travaux domestiques. La nuit, malgré son épuisement, elle veillait, haletante.

Une lourdeur inexplicable engourdissait son corps. L’écumoire, au bout de son bras, ne retournait plus aisément le riz dans la marmite. A ses moments de solitude-ses enfants chez leurs copains et Djibril Guéye à la mosquée-, elle restait des heures entières prostrée, soutenant de la main sa tête, devenue lourde. Ousmane avait « obstrué le chemin uni de sa vie ».

«   Oussou ! Mari d’une blanche ! »

L’événement était capital et elle ne se lassait pas de s’en étonner, de se lamenter. Aucun charlatan, lors de ses nombreuses consultations de mère de famille prévoyante, n’avait prédit le comportement de son fils. Et la mauvaise farce durait des jours. Aucune autre missive n’était venue la démentir.

«  Oussou ! Mari d’une blanche ! Il ya des maux que l’on confie à l’amitié. Il existe des peines dont le partage est aisé. La confidence sincère trouve souvent un baume. » Mais ce qu’elle ressentait, elle, Yaye Khady ? L’espérance désertait son âme. Pouvait-on vivre sans désirer ?

Son cœur se durcissait. Pouvait-on vivre sans aimer ?

L’amertume l’habitait. Pouvait-on vivre de mélancolie ?

Le flux et le reflux de ses pensées tristement roulaient leurs vagues dans sa tête. Toute la ville allait être informée, son quartier d’ abord où résidait le maître, traducteur de la lettre. Cet instituteur déclencherait la rumeur en confiant la nouvelle à son épouse, entre quatre murs, sous le sceau du secret. Et toujours sous le sceau du secret, bien entendu, de bouche à oreille, son infortune, colportée, deviendrait le motif des rencontres. Les amies « qui lui veulent du bien» viendront l’entourer pour se charger de leur part de peine, après s’être enquis du « vrai de la chose». La « chose » allait enfler, se déformer, se désagréger pour mieux se répandre et nourrir les haines et les envies. Elle s’installerait dans les cérémonies. Elle se glisserait entre deux pas de danseuses. Elle accompagnerait le choix du poisson et des légumes au marché, s’assiéraient aux bornes fontaines, distrairait le parcours de deux clientes, dans un car rapide. Et elle Yaye Khady, pétrie de dignité, ngor et jom –Dignité et Honneur-, depuis sa prime jeunesse, elle qui vivait en accord parfait avec sa conscience, servirait de pâture, du fait de son fils , à toutes les langues exercées à la médisance.

Des milliers de pointes invisibles déchiquetaient sa chair. Elle fondait de jour en jour et s’ en rendait compte en nouant aisément les extrémités de son pagne. Comment ne pas maigrir ? Avec sa gorge obstruée qui refusait de déglutir, elle n’avalait, depuis quelque temps, que du lait et des bouillies.

Elle n’était debout que par la crainte de la colère du pieux Djibril Guéye, voué par sa foi à l’acceptation, sans aucun murmure, de la volonté divine. Elle avait beau énumérer toutes les joies dont Ousmane avait jalonné leurs rapports, ses tourments ne diminuaient pas. Ils affaiblissaient la main qui écaillait le poisson. Il figeait son sourire en rictus, quand elle s’essayait à la gaieté.

Elle inventoriait les destinées des enfants de ses connaissances, pour bien se persuader que le malheur « déposait ses paquets »devant chaque concession riche ou pauvre, humble ou honorée :

Ousseynou Ngom, frère de case d’Ousmane, n’avait point réussi à l’école française. Il était réduit à servir un Libanais dans une boutique de tissus.

Seydou Niang, autre frère de case de son fils, trainait dans les rues de l’oisiveté honteuse et les doigts habiles du voleur à la tire.

Dans son nouveau quartier, le couple d’en face avait un fils bien drôle ! Cet adolescent d’une quinzaine d’années refusait obstinément la compagnie et les jeux des garçons de son âge, pour rechercher la compagnie et leurs jeux des petites filles ! Bien drôle cet adolescent qui imitait les filles, dans leur allure, leur langage trainant et les occupations !

Son pére, quand il le surprenait à jacasser parmi les commères, ou à faire mijoter les plats dans les gouters, entrait dans de folles colères, la cravache à la main. En vain.

En vain, sa mère le rasait-elle pour l’enlaidir. On le prendrait pour l’une des fillettes qu’il fréquentait. Il roulait les yeux en parlant. Mais il ne roulait pas que les yeux. Il roulait avec perversité ses hanches et lançait ses fesses en arrière quand  il se déplaçait. Dés qu’il était hors de portée du regard de sa mère, il s’entourait d’un pagne et se dandinait.

« Sauf miracle, ce garçonnet deviendrait un goor-jiggen-Littéralement : homme-femme (homosexuel) destiné à passer sa vie, accroupi aux pieds d’une courtisane dont il demeurait l’homme de main. Ce serait son rôle de dénicher les amants généreux pour l’entretien  couteux de ce genre de maisonnée. Ce serait à lui d’ordonnancer les menus des repas. Et il lui arriverait quelques fois d’être préféré à sa patronne… »

Yaye Khady plaignait sincèrement la mère de cet échantillon.

Elle se rappelait également les yeux éplorés de son amie Kiné, à la recherche d’un agent de service pour maitriser son fils. Moussa, des nuits entières, ameutait tout le quartier par ses élucubrations et sa violence.

Moussa ? Un déchet ! Envoyé chez un oncle immigré au Mali pour y apprendre un métier, il était revenu méconnaissable du pays des Bambaras. L’alcool et la drogue se disputaient sa raison. Moussa ! Un déchet qui n’ouvrait l’œil que pour déranger.

La folie seule expliquerait le comportement de Moussa. Défoncer les malles, subtiliser leur contenu et revendre à vil prix pour étancher une soif chaque jour plus exigeant ! Qui ne chuchotait pas sur le compte de Moussa ?

Elle se calma :

« il n’ ya pas de comparaison possible entre Moussa et Oussou. Je remercie Dieu ! »

Pourtant Ousmane et Moussa étaient au monde par la même voie, tous deux fruits de l’amour ! Ni Yaye Khady ni Kiné n’avaient subi de pression pour se marier. Elles avaient aimé leur homme. Presque à la même période, elles avaient porté leur grossesse. Elles s’étaient émerveillées du rebondissement de leur ventre, de la vie qui s’y agitait, des coups que ces vies donnaient dans leurs flancs.

« Un espoir immense et un bonheur orgueilleux habitent chaque femme en état de gestation. Elle sent mûrir avec volupté le fruit du don de sa personne. Elle subit avec patience toutes les rigueurs nécessaires au bon déroulement de sa grossesse ! »Kiné, qui avait été délivrée la première lui révéla :

-       Une douleur à nulle autre pareille, l’enfantement !

-       Comme un mal de dent ?s’était inquiétée Yaye Khady.

-       Tu verras, avait conclu Kiné, orgueilleusement.

-       Et Yaye Khady n’avait pas « vu», mais « senti »comme la rupture de ligaments dans ses entrailles.

On lui avait prédit que l’enfant naitrait lorsque, du sable pressé dans sa main, jaillirait de l’eau. Elle n’avait pas pressé de sable, dirigé vers la maternité Mandel.

Ses reins battus par une douleur infernale et le feu brûlant son bas-ventre, la souffrance avait perlé en gouttelettes sur son front.

Son bébé sur ses genoux avait été le bonheur de sa vie. Elle méditait : « Chaque mère porte au chevet de son enfant ses espérances. Elle rêve pour son petit une destinée merveilleuse , en l’ allaitant , en le berçant , en le soignant, en l’ aimant surtout.»

«  Le rêve peut déboucher sur les chemins boueux. Alors, c’est la déception. Mais la déception n’empêche point la lutte. Une œuvre de sauvetage est entreprise, avec pour armes le cœur rempli de tendresse et l’immense besoin de se sacrifier. Et quand toutes les ressources humaines et surhumaines sont épuisées sans résultat, la mère s’assoit sur les débris de ses espérances. Une mère déçue ? Une pierre broie journellement son cœur. La paix n’existe plus pour elle. »

Yaye Khady méditait. Par rapport aux autres mères, était-elle si mal lotie ? « Les aveugles, les manchots, les paralytiques, tous les déchets humains-handicapés physiques et aliénés –avaient été enfantés dans la douleur et le sang, dans l’espérance  et la joie. Et les mères des aveugles, des manchots, qu’ont-elles fait pour trouver à la place des joies espérées de l’enfantement des ténèbres amoncelées au bout de leur longue marche ?»

Yaye Khady méditait :

«  Le garçon raté est préférable à la fille dévoyée. Celle-ci est conduite rapidement à travers des aventures dégradantes, dans un tombeau. Vidée de sa dignité ! Loque aux usages divers selon la main diabolique qui la manipule ! Détournée de son rôle d’épouse et de mère, toujours victime de choix pour les sans scrupules. Elément de sales besognes et de non moins sales machinatrices ! Usée comme un vieux torchon, ses humiliations ne seront jamais compensées. Et la déchéance ne prend fin qua dans les bas fonds de la laideur : grabat de cellules de prisons ou couches d’ hôtels douteux, coups de poignards dans les bistrots ou mort violente dans la rue. »

Yaye Khady avait parfois assisté à la maternité lors de ses couches, à des manifestations hystériques de la souffrance, quand le bébé mourait en naissant.

« Le sort aveugle, pour satisfaire son appétit dévastateur, a une prédilection pour les tout-petits.

« Le vieillard de soixante-dix ans reste à jamais le tout-petit de sa mère. Qu’importe donc l’âge où la mort fige à jamais une vie ! Chaque mère ressent le même rouleau compresseur sur ses reins, à la mort de son enfant. Le même feu cuit sa poitrine. Le même impitoyable étau rétrécit son cœur. La même impuissance ploie son échine devant la fatalité. »

Des larmes montaient aux yeux de Yaye Khady. Elle pleurait silencieusement pour les mères dont les tout-petits sont morts avant d’avoir « bu une goutte de pluie», les tout-petits fauchés alors qu’ils essayaient d’emprisonner dans leurs menottes un rayon d’or de soleil. « Eh oui, le sort impitoyable desserre souvent l’étreinte maternelle des épaules des tout-petits.qui ont grandi. Des tout-petits qui ont grandi peuvent mourir devant leurs mères en délire, vieillies subitement. Et ces mères-là ne savent plus quoi faire du reste de leur vie. »

Yaye Khady pleurait. Et la pensée, laborieusement, cheminait, fortifiée et réconfortée par sa traversée de vie. « Mais tout de même : comment Ousmane avait-il pu oublier mon visage en sueur, oublier mes fatigues, oublier notre tendresse ? Cette femme me reléguera-t-elle donc à jamais dans les cuisines ?»

Quelle différence entre une bru négresse et tubaab ! Une négresse connait et accepte les droits de la belle-mère. Elle entre dans un foyer avec l’esprit d’y prendre la relève. La belle-fille installe la mère de son époux dans un nid de respect et de repos. Evoluant dans ses privilèges jamais discutées, la belle-mère ordonne, supervise, exige. Elle s’approprie les meilleurs parts du gain de son fils. La marche de la maison ne la laisse pas indifférente et elle a son mot à dire sur l’éducation de ses petits-enfants…

Il existe des belles-mères qui agissent en vraies rivales de leurs brus. Elles remportent la victoire, dans des batailles familiales où leur seule larme suffit à la répudiation de l’audacieuse qui ne satisfait pas leur appétit de sangsues.

Yaye Khady ne demandait pas au destin de l’ériger en adversaire de sa bru. Elle ne désirait qu’un repos qu’elle jugeait mérité. Ses beaux-parents morts avant son mariage, elle avait ignoré la guerre sournoise qui oppose quotidiennement belle-mère et bru. Mais Coumba, une belle sœur perfide, était toujours en train de lui « couper l’herbe sous les pieds». Elle ne rêvait pas  « de broyer » une fille d’autrui.

Yaye Khady ne demandait pas au destin qu’un repos mérité. Comme toutes les mères, elle avait connu les terribles nuits de veille où l’instinct seul diagnostique les poussées dentaires, les fièvres précédant les maladies infantiles qui se disputent la vie du bébé. Elle avait eu ses entrées chez les guérisseurs, accompagnée de paiement en boubous ou en pagnes, à défaut d’argent. Les longues queues des dispensaires ? Elle les avait pratiquées dés l’aube pour voir très tôt la doctoresse et ensuite faire son marché et sa cuisine.

Elle méritait une prompte relève. Beaucoup de femmes de son âge, à cause de la présence de leur belle-fille, n’avaient plus que le souci de se laisser vivre agréablement. Elles se mouvaient dans la paresse et l’encens. Leur bru les servait. Dans leur chambre, tout leur tombait du ciel : la meilleure part des repas, le linge repassé, les draps de lit journellement renouvelés. L’oisiveté convenait à leur  âge. La médisance trompait leur ennui. La direction des cérémonies familiales comblait leur inactivité. Certaines belles-mères se consacraient à Dieu et tuaient le temps en bâtissant leur au-delà : la mosquée les accueillait à la prière du vendredi, parfumées, dans les déploiements de vêtements et châles blancs, le chapelet à la main.

« Assurément, affirma t’elle, un des sommets de la vie d’une femme est dans le choix d’une belle-fille. »

Ousmane introduisait une anomalie. « Une Blanche n’enrichit pas une famille. Elle l’appauvrit en sapant son unité. Elle ne s’intègre pas dans la communauté. Elle s’isole et entraine dans son évasion son époux. A-t-on jamais vu une Blanche piler le mil, porter des bassines d’eau ?»

«  Au contraire, la Blanche exploite : on fait pour elle ce dont elle n’a point la pratique ! »

Et Yaye Khady secouait la tête !

« La Blanche manie son homme comme un pantin. Son mari reste sa propriété. Unique gérante des biens de son foyer, elle les détourne à son seul profit. Rien ne va à la belle famille. »

En prospectant la « vie», en se tournant et retournant dans son lit, Yaye Khady se soulageait. Son mari croyant s’appuyait sur la justesse, l’infaillibilité et la sagesse de Dieu pour endiguer ses révoltes. Son mari croyant et pratiquant assidu avait raison. La bonté d’Allah secourait ceux qui priaient et elle priait. Et puis, par rapport , à d’ autres parents qui n’ avaient pont aimé , ni moins peiné qu’ eux , par rapport aussi d’ autres parents aussi plus méritants qu’ eux , ils étaient , Djibril Gueye et elle , privilégiés par le destin.

Ousmane les avait respectés et aidés. Dans ce logement neuf, il avait introduit la modernité. Leur téléphone était assailli, au point d’être maintenant cadenassé. Tous les jours, des voisines lui envoyaient des provisions à conserver dans son réfrigérateur. Son fer électrique secourait bien des mères de famille dans le quartier, quand sévissait une pénurie de charbon.

Ses réflexions renouvelèrent sa force combative :

« Non une femme, aussi blanche soit-elle, ne saccagera pas mon œuvre. »Elle n’allait pas se laisser envahir sans crier gare.

Elle définit cette diablesse aux cheveux de djinn. Elle n’acceptait pas sa suprématie. « Je ne me laisserai pas détruire pour lui céder une place nette.»

« L’étrangère ne dévorera pas aisément les fruits de mon labeur ! »

« Cette blanche qui descendait de son être pour s’introduire chez les Noirs, verrait…

A aucun moment, Yaye Khady ne pensa au tourment de la mère, blanche, certes mais qui, elle aussi, avait enfanté, aimé et espéré.

Sa fille l’avait surement déçue en empruntant une voie inconnue. Cette mère menait un combat différent de celui de Yaye Khady. Son amour pouvait exprimer la même magnanimité dans le désir de protéger. La souffrance la tenaillait elle aussi, à la même place que Yaye Khady, là où se situe le cordon ombilical sectionné, capable de réveils douloureux.

Peu important à Yaye Khady, le tourment de cette mère.

 

Les Blancs, pour elle, étaient des êtres exceptionnels que ne régissaient pas les mêmes lois et les mêmes servitudes que les Noirs !...

 

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  • Ce roman retrace une grande histoire d' amour entre un jeune sénégalais et une jeune française . Confrontée aux difficultés ,saura-t-elle résister aux nombreuses pressions de la société sénégalaise?
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