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)î( UN CHANT ECARLATE )î(
15 juin 2021

PP-8

8

PREMIERE PARTIE

8

Soutenu par l’ardeur et les illusions de leur âge, les étudiants sénégalais, comme leurs pairs partout au monde, prônent la hardiesse dans les mutations sociales. Ils estiment timorées les réformes introduites par les gouvernants. Ils appellent aux grands bouleversements dans de violentes vitupérations. Leur rêve d’une société équitable, chez les uns, est assis sur des idéologies et modèles importés, chez les autres, sur un nationalisme intransigeant.

Ousmane et ses copains n’échappaient point à l’attirance facile des excès de langage. « Ker Ali », l’un  de leurs jeux de rencontre, retentissait souvent de leurs prises de position passionnées, au rythme de discussions où l’on dépouillait Marx et Lénine de leurs théories révolutionnaires, pour se les approprier, ou les démolir.

Un Samedi soir, Ousmane se présenta à ses amis, sa moisson de journaux dans les bras.

-       Pour votre information !

Boly, le musicien du groupe, comme toujours portait sa guitare. Des dodelinements de tête et des claquements de doigts appréciés l’hymne guerrier dédié à la mémoire du roi sans peur, Soundiata.

Soundiata Keita !

Doomu Penku du dee-Un enfant de l’Est ne meurt jamais-

Doomu Peenku du daw-Un enfant de l’Est ne fuit pas.

Cette épopée historique enflammait leur imagination. Des voix mâles saluaient le courage du héros africain.

Doomu Penku du dee-Un enfant de l’Est ne meurt jamais-

Doomu Peenku du daw-Un enfant de l’Est ne fuit pas.

A nouveau, Ousmane exhorta le groupe à la lecture des journaux..Mais « Soundiata, le fis de l’Est qui ne meurt pas, le fils de l’Est qui ne fuit pas » ne desserra pas son étreinte. Boly arrêta la course de ses doigts sur les cordes de son instrument :

-       Si Soundiata revenait sur terre, reconnaîtrait-il ses descendants ?

Les grandes idées sont déserté l’âme des Africains. Combien de gouvernants avons-nous ici qui ont été des étudiants à l’avant-garde des mouvements de libération nationale et qui, aujourd’hui, les pieds sur l’étrier du pouvoir, sont méconnaissables. Ils blâment ce qu’ils prônaient autrefois…

Une occasion de plus pour vider rancœurs et déceptions ! Le ton était donné. Les uns après les autres ou en même temps, ils se défoulaient. Les « gros » du régime en place furent « disséqués »par des langues, bistouris tranchants. On n’oublia ni « les villas luxueusement meublées qui bordent la corniche»,ni « les voitures climatisées qui ronronnent grâce à l’ essence des contribuables ».

Ali s’attarda sur « les nantis irresponsables des postes clés qui volent le trésor public !», « les nantis de postes immérités, grassement payés de surcroit !» Il conclut, grave :

-       Dés lors, comment sur les tribunes officielles ne pas entendre louer l’Etat progressiste, la Nation Humaine, le Pouvoir compétent, le Président père du peuple ? Un directeur de services importants ne s’est point gêné pour avouer à son interlocuteur : Comment veux tu que je scie la branche qui me supporte ! »

Le barbu du groupe succéda à Ali. Il railla, acerbe, le contenu des discours :

-       Phrases pompeuses, sans sincérité alignées par des conseillers technique dépourvus de scrupule, émaillées de chiffres trompeurs pour faire sérieux et vrai ! Et l’on se réfère pieusement, au début, au milieu et à la fin des tirades, comme à Dieu le père, au Président… Personne n’ose couper le cordon ombilical…

-       Ils donnaient l’impression, ces jeunes, que les tenants du pouvoir gouvernaient uniquement pour des privilèges au détriment des intérêts de la communauté. Amèrement, ils piétinaient les arguments qu’on leur brandissait, arguments tirés de leur inexpérience, de leur manque de patriotisme et de réalisme.

Le barbu, à nouveau, mobilisa l’attention en gonflant sa voix, et gesticula pour imiter un ministre en place :

-       Tout chef de famille souhaite pour les siens, le meilleur logement, une bonne nourriture, de confortables vêtements, n’est –ce pas ?...Mais quand il confronte le contenu de ses désirs à celui de ses revenus, il se contente de donner à sa famille une vie à la mesure de ses moyens financiers.

Sur le même ton emphatique, Ousmane rétorqua :

-       Belle comparaison ! Quand un chef de famille gagne modestement sa vie, il ne va pas dans les night-clubs et les casinos dilapider ses revenus …

Ali compléta la pensée de son ami, sentencieux :

-       Un chef de famille qui dilapide ses revenus mérite l’opprobre. L’Etat est pendable de vivre au-dessus de ses moyens. L’Etat est pendable de choisir des priorités qui n’en sont pas. Un maigre budget impose austérité et rigueur.

-       Un parallèle impitoyable était souvent tracé entre les futilités établies en règles immuables et les urgences ignorées. Les problèmes cruels de la faim, du manque d’eau, des maladies, accaparaient longuement l’attention. Les gouffres béants qui absorbaient les richesses du pays, autant que les inégalités sociales, alimentaient leur verve. Ils rêvaient de faire du pays un gigantesque chantier qui changerait la vie.

-       Et l’on vint à la Négritude ! Le barbu se leva encore pour la lacérer impitoyablement.

Mais Ousmane osa exprimer sa conviction :

-       Je suis pour le contenu de la Négritude.

Je suis pour l’Enracinement et l’Ouverture.

On le hua, en passant au crible d’une exigence diabolique tous les moyens proposés pour l’Enracinement et l’Ouverture. Boly rythmait les propos de claquements appropriés des cordes de sa guitare en guise d’applaudissements.

Ousmane conclut dans la clameur hostile :

-       La culture est universelle. La culture est un instrument de développement. Comment y accéder sans se connaitre pour s’estimer, sans connaitre autrui pour l’estimer ?

La griserie des mots allait continuer sans doute si Ousmane, portant l’index à son front, ne s’était point souvenu d’une promesse faite à Yaye Khady le matin :

-       Je dois emmener ma Yaye apprécier Le Mandat, le fils de Sembene Ousmane. Il me faut partir. La Vog-Salle de cinéma située au centre-ville est loin d’ ici …Je veux que ma mère vive la différence des quartiers et compare. Quel monde entre le Vog au spectacle serein et notre AL AKBAR-Salle de cinéma de quartier (Usine Niari Talli) bruyant et son odeur de beignets !...

Boly s’énerva :

-       Toujours ta Yaye ! Comme un bébé au sein. Crois tu que le fait de changer Yaye Khady de cinéma fera d’elle une révolutionnaire ?...En tout cas, ta Yaye nous gâche nos meilleurs moments…

Ousmane rit.

-       Je rapporterai à Yaye Khady tes propos. Toi qu’elle trouve si bien éduqué…

Boly prit congé à son tour et lui emboita le pas. Ses doigts dansaient sur les cordes de la guitare.

L’aire de Soundiata Keita, « Un fils de l’Est ne meurt pas ! Un fils de l’Est ne fuit pas » emplit gaiement l’espace.

Comme ils enviaient Ousmane et ses amis, les étudiants français que le « ras-le-bol», seul motivait dans la révolte. Eux, « ils avaient des causes d’agitation autrement sérieuses» ! Les réduits inconfortables qui étaient leurs chambres, arrachés dans la bagarre, illustraient, à leurs yeux, d’une manière flagrante, la gravité de leurs préoccupations. Ali ne se lassait jamais de narrer l’histoire de sa chambre :

-       La capacité d’hébergement de notre cité est dérisoire par rapport au nombre d’étudiants. Pour décrocher ma piaule, je me suis bagarré en vain. Mais il a suffi d’un seul coup de fil de mon cousin, chef de cabinet du ministre de l’Education et de la Culture, pour que je sois satisfait.

Et l’on plaisantait sur les « clandos» qui, chaque soir, comme Boly, transformaient en dortoir les salles de conférence et d’études.

Il se défendit.

-       Que voulez-vous que je fasse ? J’habite Guédiawaye-Quartier périphérique de Dakar-dans le sable. C’est si loin que la présence de la mer détonne. Le premier visiteur des lieux, saisi par le mirage de ces eaux insolites, a dû exprimer son étonnement : « Géej Waay »Depuis on appelle mon quartier Géej Waay ! La mer hein !

Fous rires de l’assistance ! Boly imperturbable poursuivit, sans interrompre la caresse délicate de ses doigts sur les cordes de sa guitare :

-       Alors, comment voulez-vous que je regagne chaque jour « Ma mer », surtout lorsque pour revenir ici, il faut effectuer une véritable randonnée ? Les cars insuffisants sont pris d’assaut par les plus téméraires et sont vite bondés. Dans nos revendications figure à juste raison l’existence d’un parc automobile qui doit être pris en charge par le COUD-centre des œuvres universitaires de Dakar-. Cela faciliterait énormément nos allées et venues à nous les habitants des quartiers périphériques.

Ali exposa les saillies de ses côtes… On oublia le transport pour la nourriture. On remercia fort Yaye Khady qui leur offrait un repas de vrai riz sénégalais par semaine. Quelqu’ un éleva une voix solennelle pour promettre :

-       Si la diarrhée ne me tue pas ici, si la sélection ne se massacre pas Yaye Khady, mère d’Ousmane, comme je m’occuperai de toi.

D’autres voix renforcèrent cette promesse tandis qu’Ousmane, gêné par les flots de louange, s’évertuait à redonner à l’entretien sa véritable dimension :

-       Il est difficile de faire de la nourriture de qualité en grande quantité. Mais on peut respecter les règles d’hygiène…

Mais Boly ne le laissa pas achever son discours. Il fit une révérence à la manière des artistes : des pas en avant, un salut, des pas en arrière, un autre salut.

Il dit sans rire :

-       C’est moi qui lève l’ancre le premier aujourd’hui, pour ma Yaye à Guédiawaye. Quand verrons nous changer tout cela, amis ?

La nuit tombait. A son tour, Ousmane prit congé. Il se hâtait vers Usine Niari Talli. Il n’y avait point de mer au Grand-Dakar. Mais combien préférait-il sa poussière à la mer de Guédiawaye. Alors que ses jambes suffisaient pour regagner son domicile, de véritables prouesses donnaient à Boly une place dans les cars de Pikine-Quartier périphérique de Dakar-.

Mais Boly avait ajouté en partant :

-       J’ai la nostalgie de ma mère. Cinq jours sans la voir !

Ousmane approuvait : la joie de retrouver une mère valait bien une bousculade.

*

* *

« Lances pour éventrer les injustices sociales ! » « Energie debout pour combler les insuffisances !»

Comment ces étudiants qui se définissent ainsi ne seraient-ils point tentés par des actions d’éclat ?

Contraints par la faim, la plupart abandonnaient les études en laissant des vides dans les rangs déjà si clairsemés au départ. Ceux qui restaient s’interrogeaient et craignaient l’assassinat de leur avenir.

D’ abord éparpillés et de faible intensité, les feux de la contestation s’attisèrent soudainement, quand la Commission nationale de l’enseignement supérieur décida d’appliquer le fractionnement des bourses. Les  petits feux se muèrent en embrasement dangereux.

Et la ville de Dakar vécut, elle aussi, ses journées de MAI 1968. Les fumées denses de la tourmente s’élevèrent sinistrement au-dessus de l’université avant d’obscurcir rapidement l’atmosphère. Une violence aveugle dressa, étroitement unis pour un même combat, syndicalistes et chômeurs, délinquants et désœuvrés, contre les forces de l’ordre.

Les événements s’enchainaient à un rythme accéléré :

 L’université prisonnière dans un cordon policier ! Des magasins « domaines du capitalisme » saccagés ! Des voitures officielles lapidées ! Des syndicalistes arrêtés ! Des étudiants parqués ou rapatriés, après la mise à sac des dortoirs de la cité !

A Mireille, bourrée d’inquiétude à cause du silence inaccoutumé de son ami, Ali expliqua :

  Ousmane est prisonnier de l’Etat au camp Mangin après un affrontement sévère au sein de la cité. Chance ou malchance, les événements m’ont trouvé en ville pour raison de famille.

Dans le secret de l’existence de la « Boite Postale Yvette », par amitié pour Ousmane, je prends la liberté de vous informer.

 Au bout de douze jours de captivité, Ousmane renoue enfin le lien :

   Je suis assis en face de tes photographies et je fais peau neuve sous ton regard. Ton sourire en moi verse à nouveau d’agréables douceurs. Il ya à peine une heure que j’ai quitté le camp Mangin, libéré avec mes camarades. Un climat d’insécurité règne toujours. Le couvre-feu persiste. Ainsi ma mère me raconte qu’ hier pour conduire une de ses amies à la maternité, elle a dû demander l’autorisation de circuler au commissariat du quartier.

Quant à nous, point de regrets. Conditionnés démesurément, nous avons justement éclaté. Les beaux discours, pour une fois, sont restés dans les tiroirs. Une mobilisation constante et diaboliquement répressive des forces de l’ordre les a remplacés. On nous a cassé les reins. Mais nous sommes encore debout et heureux, heureux de notre victoire qui d’avoir amené, par notre lutte courageuse, le régime à prendre conscience de notre existence. La violence, bien plus que les moyens pacifiques employés hier inutilement, a été entendue.

Tous les établissements scolaires sont fermés. Pourvu que l’année ne soit pas perdue pour allonger notre attente. Je te serre fortement dans mes bras.

 

La légalité, peu à peu, se réinstalla. Après la révolte, l’université rouvrit ses portes. Avant la rentrée, les examens furent honorés. L’année ne fut pas perdue.

 *

* *

Ousmane Guéye, intelligent, motivé par son amour, encouragé par son père , entouré d’ une tendresse attentionnée par sa Méré , se mouvait aisément dans ses cours . Il ne connut pas les échecs qui décourageaient les volontés les plus tendues aux prises avec une sélection rigoureuse. Il parvint à sa licence, puis à sa maitrise de philosophie. Qualifié d’élève exceptionnellement doué, on lui offrit une nouvelle ouverture vers la France. « Je verrai plus tard», répondit-il.

Pour le moment, sa famille avait besoin de lui. La vie devenait de plus en plus chère. La bourse, au secours de la pension de l’ancien combattant diminuée, venait difficilement à bout des dépenses vitales.

Son père vieillissait. Fervent musulman, pratiquant assidu, Ousmane le savait habité d’un rêve qu’il jugeait impossible à réaliser : visiter les lieux saints de l’Islam. Ousmane tenait à lui payer ce voyage.

Et puis, il désirait sortir sa famille de l’environnement déprimant du Grand-Dakar. Il voulait fuir l’air empesé des égouts bouchés, la poussière polluée. Il voulait, pour son frère et ses sœurs qui grandissaient, un cadre décent où le vent n’entrerait plus en minces filets provocateurs de bronchites. Il ne pouvait plus se suffire, pour savourer les délices des bains, du coin clôturé de zinc. Il rêvait pour lui et les siens d’une maison confortable.

Il avait besoin de travailler. Il prit donc service, avec émotion et fierté, dans son ancien lycée.

Tandis que Mireille patientait, avec son premier rappel de solde, Ousmane Guéye offrit le pèlerinage à La Mecque. Et tandis que Mireille patientait , le dossier OHLM-Office de l’ habitation à loyer modéré – qu’ il avait constitué était aux mains d’ un de ses anciens condisciples de l’ université .

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  • Ce roman retrace une grande histoire d' amour entre un jeune sénégalais et une jeune française . Confrontée aux difficultés ,saura-t-elle résister aux nombreuses pressions de la société sénégalaise?
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