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)î( UN CHANT ECARLATE )î(
10 juin 2021

PP-6

6

PREMIERE PARTIE

6

Par les soins des services de l’administration, Ousmane Guéye reçut un grand pli rose, couvert de timbres étrangers.

L’écriture de Mireille ! L’écriture sans fioritures qui détonait la nature volontaire de son auteur !

Son émotion était aussi incontrôlable que le jour  où il avait redécouvert l’épaule, la nuque, les cheveux de Mireille, au hasard d’une rentrée universitaire.

Devait-il se réjouir ? La couleur rose de l’enveloppe incitait à l’optimisme. Mais le départ brusque de la jeune fille pour son pays n’augurait rien de bon quant à ses rapports avec ses parents. Si le voyage avait été préparé, elle l’en aurait informé. Brusquement, elle avait disparu.

Depuis quatre jours, ses recherches se heurtaient  à un mur de silence opaque.

Habité par un tourment infernal, il avait osé faire le tour de la résidence diplomatique. Mais les bâtiments, situés au fond d’une immense cour, ne livraient aucun secret.

Yaye Khady constatait avec désespoir l’énervement et la distraction de son fils . Elle pressentait un événement capital dans la vie de son enfant, et malgré ses astuces de femmes ne put rien percer.

Maintenant, Ousmane ne quittait plus sa table de travail. Pour se « saouler » de l’image de sa bien-aimée, il se plaçait en face de sa photographie. Il feignait d’étudier, un livre ouvert entre ses coudes plantés, sur la table, le visage entre ses paumes. Tout son être, en ces instants se tendait vers l’absente.

Avec cette enveloppe qu’il tenait, ses tourments allaient empirer ou se dissiper. La lettre vibrait dans sa main, porteuse d’un message, comme un envoyé du destin.

Il choisit de savoir tout de suite « Tant pis pour le cours de M. Sy. Il fera sa péroraison sans moi. » Il s’arrangea une fuite discrète.

Il voulait retrouver la complicité de sa chambrette, témoin de ses gémissements nocturnes, quand la nostalgie de l’absente l’étreignait. Devant la photographie de Mireille, il souhaitait lire le contenu de la missive.

La rue pouvait bien l’inviter à écouter ou à regarder, il ne lui répondrait pas. Leur lien, né d’une communion ancienne, s’était tendu à l’apparition de Mireille dans sa vie. « Que la rue boude ou crie mon ingratitude !» dit-il. Et il héla un taxi.

-       Vite ! Ordonna t-il, Usine Niari Talli.

La route d’Ouakam, le Point, les Zones A et B, tous ces quartiers furent « avalés » par les roues de la voiture.

-       Bien ! Bien ! encourageait Ousmane.

Pour ne pas effrayer sa mère qui ne l’avait  jamais vu arriver en taxi, il fit stopper la voiture folle à cent mètres de son domicile.

Yaye Khady, néanmoins, marqua son étonnement :

-       Déjà ? Un lundi ! Es tu malade ?

-       Non. C’est le professeur qui est indisposé.

Yaye Khady grogna sa réprobation :

-       Mais d’ habitude, dans ces cas-là, tu restais à la bibliothèque

-       Aujourd’ hui, plaisanta Ousmane que ce dialogue agaçait, aujourd’hui, pas de bibliothèque ! Repos avant le déjeuner !

-       Et ce prétexte lui permit de verrouiller porte et fenêtre. Mais la lampe qu’il alluma, le trahit.

«  Il a allumé. Il ne dort pas. De quel repos s’agit-il donc ? » S’étonna encore Yaye Khady.

Avec ce sens de divination indéfinissable que possèdent les mères, elle conclut que son Oussou « grandissait». Il avait sans doute un secret. Une femme qui l’inquiétait ? Sûrement une femme ! Seul l’amour pousse à l’incohérence : repos et lumière ne vont pas ensemble. Ousmane aimait. Il souffrait peut-être ?

Sa supputation le satisfait, car elle craignait que son fils demeure le « curé » de son surnom.

La curiosité malmenait Yaye Khady et la poussait à regarder entre deux fentes de la baraque, là où un interstice béant l’invitait.

Elle se retint :

« Et si Ousmane surprenait mon attitude ? S’il me découvrait, épiant ?... »

Sa dignité prit le dessus sur la tentation. Pour user sa fébrilité, elle continuait d’éplucher et de gratter les légumes du repas plus  soigneusement que de coutume et les laissait choir dans une calebasse d’eau.

Dans la chambre verrouillée, Ousmane se dévêtit comme il allait combattre. Il livrait d’ ailleurs un combat qui, même s’il ne requérait pas de force physique, n’en demeurait pas moins dur. Il pressentait une lutte âpre dont Mireille était l’enjeu. Les parents de son amie avaient pour armes des arguments solides. Si Mireille se ralliait à leurs désirs, il serait vaincu. Fétu de paille tordu, il sera relégué dans la déception dont il avait connu les prémices avec Ouleymatou.

Et si Mireille le choisissait à la place de la richesse et de la facilité ?

Et si Mireille choisissait le Négre, fils d’un invalide de guerre et d’une ménagère analphabète ?

SI Mireille le choisissait, les prédictions des années de sa mère se réaliseraient :

Elles avaient prévu : « Quand on aime ses parents, on se situe toujours aux meilleures places ! » Et il avait eu son baccalauréat.

Elles avaient prévu : « Quand on aide sa mère sans complexe (elles connaissaient les corvées du jeune Ousmane), Dieu octroie en retour des élévations morales et matérielles insoupçonnées et aplanit toutes les difficultés.»

Emue, Yaye Khady intervenait en prières, les larmes aux yeux.. « Assez de divagations !»

Ousmane ouvrit enfin l’enveloppe. Une photo graphie s’en échappa, qu’il reconnut. Il la ramassa, l’embrassa, la regarda. La photographie autorisait l’espérance.

Il sourit aux lignes nettes, d’une lecture aisée. Les mots ressemblaient à Mireille dont la voix lui parvenait, lointaine et pourtant tendrement proche.

Elle avouait :

Ousmane,

Nos embrassades ne précéderont plus nos cours. Nous ne fuirons plus ensemble l’ennuyeux M.Sy et sa voix morne, pour humer l’air marin proche.

Non que j’aie cessé de t’aimer.

Le refus de te perdre me vaut d’être exilée dans ma propre patrie.

Ta petite photographie, retrouvée dans la voiture par mon père, a provoqué le drame.

Tu avais raison d’attirer mon attention sur le diction wolof : « Ce qui s’ ignore n’existe pas.»

Par le biais de la photo ou par toute autre voie, Qu’ils soient au courant de ton existence dans ma vie me délivrent de mes angoisses, des précautions et surtout du mensonge.

Le plus important pour moi, reste ta position.

J’ignore tout de toi. J’ignore qui tu es en dehors de nous.

Je n’exige rien que tu ne veuilles me livrer. Mais pour me battre, je voudrais situer la finalité de ma lutte.

Si je dois renoncer à toi, dis le moi sans gêne. Tu m’as donné un bonheur merveilleux qui plaide déjà ton pardon. Si aimant, tu veux bâtir l’avenir avec moi, je suis prête. Tout me semblera facile si je trouve, au bout de ma tourmente momentanée et de ma solitude, tes bras ouverts. Mais il faut attendre quatre ans, pour que j’aie la majorité légale.

Ordonne et rien n’aura plus d’importance que toi.

Ecris-moi. J’attends.

Mireille

Suivait l’adresse d’une copine élue boite postale.

Ousmane relut : « Ordonne et rien n’aura plus d’importance…»

La lettre l’orientait vers le « sérieux ».Son contenu l’entrainait vers les déchirements entre les choix conciliables. Ousmane trouva la situation « cornélienne» : « D’un côté, mon cœur épris d’une Blanche…de l’autre, ’’ma société’’. Entre les deux, ma raison oscillante, comme le fléau d’une balance qui ne peut trouver  un point d’équilibre entre deux plateaux aux contenus également chers.»

Renier Usine Niary Talli ? Echapper à son emprise ? Vomir ses relents ? Tentant ! Mais sa petite patrie l’agrippait. Elle grondait violemment en lui, voix accordées des valeurs traditionnelles, dictant impérieuses, les droits de la vie collective. Tout louvoiement, tout bouleversement soulevaient l’étonnement, le mépris ou l’indignation. Le flambeau de l’héritage culturel éclairait l’unicité du chemin à emprunter…Les mentalités se momifiaient dans le carcan du passé…Dans leur cuirasse, des mœurs et des coutumes décourageaient les attaques …

Mbooween ! Mbuubeen ! Caameen ! Des concessions vouées à des professions héritées de la nuit des temps … La religion, dans la tolérance de son enseignement, restait le lien indescriptible…

Usine Niary Talli l’enveloppait, tendresse de Yaye Khady répercutée dans les cœurs des femmes du quartier, autant de mères qui avaient nettoyé ses narines d’enrhumé chronique, autant de yaye vigilantes qui l’avaient souvent corrigé sans hésitation, pour l’éloigner des ordures, où il extirpait ces riens- ficelles, boîtes de conserves, cartons- que l’imagination enfantine métamorphose en jouets inédits…Tombait –il malade ? Tout le quartier, soucieux et soupçonneux, s’inquiétait. Chaque main s’armait de talismans et de safara-Eau bénite de prières et d’invocations en vue de résultats préventifs ou curatifs donnés-pour le délivrer des « filets »d’une sorcière invisible.

Il se revoyait, quand le paludisme martelait ses tempes, grelottant dans le délire de la fièvre. Il écoutait alors, anxieux, l’énumération des recettes de frictions énergiques où l’ail revenait sans cesse, nanti de pouvoirs miraculeux…Usine Niari talli résistait farouchement, puits intarissable d’enrichissement et de formation, creuset inviolable de  traditions où se revigoraient le cœur et l’âme.

Généreux dans la pauvreté, pudique dans l’épreuve, honnêtes dans la misère, tolérants dans les conflits, tels étaient les habitants de son quartier.

Renier  Usine Niari talli ? Maudire les tintamarres matinaux des klaxons qui ponctuaient les crissements de pneus ? Les scintillements des fourneaux malgaches éclairaient son tourment. Sa mémoire vibrait des courses gaies derrière les pneus de voiture abandonnés. Sa mémoire s’énervait dans les poursuites harassantes et les corps à corps autour d’un ballon éventré…

Renier  Usine Niari talli ? Ignorer l’index respectables des coreligionnaires de son père qui indiquait le chemin royal de Dieu ? Ne plus s’émouvoir et se recueillir, à l’écoute du muezzin, sous le minaret d’une mosquée baignée de lueurs pourpres de l’aurore ?

Déchiqueter les mille feuillets du patrimoine ancestral ? Piétiner les gris-gris protecteurs ? Désavouer les rab et les djinns-Esprit invisible qui peut être néfaste- ? Détourner du sillon approprié le sang porteur de vertus ? Huer l’orgueil de la naissance ? Mourir par amour et non pour l’honneur ?

Osera-t-il ? Il bandait son courage pour se libérer. Mais se libérer des nœuds qui le rivaient aux baobabs de sa terre, était-ce une entreprise aisée ? Osera-t-il ? Le visage mécontent des morts grimaçait de mépris. Leur mémoire protestait. Le tonnerre de la vengeance grondait .Osera-t-il ? Choisir sa femme en dehors de la communauté était un acte de haute trahison et on lui avait enseigné : « Dieu punit les traitres.» On prévenait sentencieux : « Deretu teggal du moy luppu boroom !»(Le sang du circoncis ne gicle que sur sa cuisse).

Des frissons d’inquiétude ! Des tentacules l’enserraient fortement. Chaque effort de libération le ligaturait davantage. Comment fuir sans amputation profonde ? Comment fuir sans hémorragie mortelle ?

Mais son cœur bondissait. Par ses photographies, Mireille, radieusement. Il secouait la tête : « D’ un côté, Mireille…De l’autre « ma société…mes parents..»

« Mes parents ? La même réaction aussi hostile que celle des parents de Mireille. » Il retrouverait en eux l’horreur et le dégout de l’apport étranger. Bien sûr, Djibril  Guéye avait pratiqué les blancs. Mais jamais, il n’avait oublié qu’il était différent d’eux et il était fier de cette différence. Comment déplacer l’horizon de son père ? Comment s’y prendre pour bouleverser l’ordre de sa conscience ? Comment lui démontrer d’autres vérités ?

« Yaye Khady est possessive ! Insoumise. Comment la vaincre ? Yaye Khady se battra énergiquement. Yaye Khady se battra…jusqu’ au dernier souffle… », admit Ousmane.

Il admit encore :

«Dans Usine Niari talli, je serai un génn-xeet.-Traitre à sa patrie. (Littéralement : sortir de la race).un traitre …celui dont le comportement sera dénoncé pour mettre en garde. Quand aux copains. »

Ses copains voyaient grandir une passion là où ils situaient une tocade. Leur désaccord état signifié énergiquement. Le barbu du groupe avait averti :

-       Ah ! Non et non ! Le règne des couples mixtes doit être révolu. Ce genre de mariage se défendait dans le système colonial où les Négres intéressés tiraient promotion et profit de leur union avec une Blanche .On doit choisir sa femme chez soi. Ces blancs sont des racistes. Leur humanisme d’ hier n’était que leurre, une arme d’exploitation honteuse pour endormir nos consciences. Chez eux, pas d’ambigüité ! Pas de masque ! Les chauffeurs de taxis se détournent des clients négres. Doudou nous a raconté : pour avoir une chambre d’hôtel, il faut téléphoner… Et la chambre disponible tout de suite n’existe plus dés que vous déclinez votre identité.

Boly le guitariste avait insisté :

-       Au-delà de vos sens, quelles sources de communion aurez-vous toi et ta tubaab ? On ne bâtit pas l’avenir sur des passés sans liens. Tant de ménages mixtes sont broyés par l’incompréhension. L’Afrique sait être jalouse jusqu’ à la cruauté, méfie-toi.

Des arguments ! Des arguments !

Mais l’Amour lentement les submergeait ; Ousmane plaidait lui-même.

-       Il faut oser. Pour avancer la reconversion des mentalités est nécessaire. Pour vivre, il faut oser .L’échec des autres ne peut être mien. Que de mariages défaits dans le monde, n’est ce pas ? Mais le mariage se célèbre toujours. Mireille n’est pas une aventurière qui poursuit des fantasmes. Elle se cherche ni exotisme outrancier ni sensations fortes .Elle aime. Vivre ma propre expérience ! Bâtir mon avenir au lieu de laisser les autres le choisir à ma place.

-       Difficile, rétorquait la raison. Difficile dans le contexte actuel. Difficile avec une mère comme la tienne !

Mais l’amour insatisfait :

-       Il te suffira de cloisonner ta vie d’époux de Mireille et ta vie de fils de Yaye Khady, de fils de Niari Talli.

Et l’Amour conseillait encore :

-       Ne capitule pas avant de combattre. Le succès est possible.

Ousmane réfléchissait. Dés ce soir, il écrirait. Mais avant tout engagement, il crierait son attachement à sa condition de Négre .Il exigeait à Mireille, comme préalable, sa conversion à l’islam. Elevé dans la voie d’Allah, musulman convaincu et pratiquant dans le sillage d’un père ancien talibé. Ousmane ne concevait pas de mariage en dehors de la mosquée. Il sut le dire, en termes rigoureux.

« Pour toi, je ne m’émietterai jamais. Pour toi, je ne me viderai pas ! »Ousmane réfléchissait.

Des ce soir, il écrirait. Il parlerait, avant tout engagement encore de Yaye Khady et de Djibril Guéye « inattaquables », de sa baraque dressée dans les senteurs nauséabondes des égouts bouchés. Il présentait sa chambrette aux dizaines d’insecticides.

Safiétou qui trottinait, fesses nues, gris-gris aux jambes, morve au bord de la lèvre, ferait sa révérence à Mireille. L’odeur du poisson sec attaché à son quartier fouetterait les narines sensibles de sa belle.

Mais il saurait dire également son amour. Comme il décrierait sa solitude et sa souffrance et la nudité du temps ! Comme il souffrirait, lui aussi, de son « exil dans sa propre patrie» !

Il composait dans sa tête les phrases qu’emploierai. Il gesticulait, réfutait tel mot impropre, gommait en pensée, répétait. Il sautillait. Le bonheur fouettait son corps et ensevelissait ses scrupules.

Yaye Khady écoutait. Elle devinait des pas de danse.

Ousmane, fou de joie, se laissa tomber avec force sur le matelas mousse.

Il poussa du fond de ses entrailles dégagées d’inquiétude, un soupir rauque. Une nouvelle phase de sa vie !

Yaye Khady écoutait. Elle sourit. Le cri l’avertissait de la victoire de son fils. Elle ignorait la nature du combat livré. Mais qu’importait ! La victoire était dans le soupir ! Son fils ! Sn Oussou !

Elle se leva en chatonnant. Elle secoua les pelures accrochées à son pagne. Elle fit quelques pas pour atteindre la marmite sur ses trois grosses pierres où flambait du bois. Elle souleva le couvercle à l’aide d’un morceau de papier, trempa, dans la sauce, son index droit, pour vérifier la teneur en sel.

Le martyre des légumes suppliciés au couteau continuait : l’eau bouillante les engloutit.

A l’heure du déjeuner, quand Ousmane déverrouilla sa porte, Yaye Khady vit, à côté du premier cadre en fer forgé, la même actrice dans ne autre attitude.

Elle taquina :

-       Mets cette diablesse qui te fascine tans dans un cadre ou je ne réponds plus de sa présence !

Ousmane obtempéra joyeusement.

Yaye Khady ne soupçonnait rien, pas plus que Djibril Guéye.

 

 

 

 

 

 

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  • Ce roman retrace une grande histoire d' amour entre un jeune sénégalais et une jeune française . Confrontée aux difficultés ,saura-t-elle résister aux nombreuses pressions de la société sénégalaise?
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